Vasile Gavriliu voit le jour
le 1er janvier 1919 à Roman. Son père travaille aux
Chemins de Fer roumains comme chef de dépot et peut donc donner
une excellente éducation à ses quatre enfants : trois
garçons et une fille. Après sa scolarité à
Roman, en école primaire puis au lycée, le jeune Vasile
étudie une courte année à l'Université
de Jassy (section électrotechnique), apparemment pour devenir
ingénieur. Mais il désire avant tout être aviateur...
"Mon frère Traian, né en 1911, était
pilote dans l'aviation militaire. Lorsque je décrochai mon
baccalauréat, il put obtenir de ses chefs l'autorisation de
m'emmener faire un baptême de l'air en Potez XXV. Je fus bien
sûr conquis et voulus également devenir pilote, mais
ma mère s'y opposa, déclarant "un aviateur dans
la famille, c'est bien suffisant !". J'étais cependant
toujours en butte aux railleries de mon frère qui me brocardait
continuellement, disant "crois-tu que l'on prend si facilement
tous les maigres dans l'aviation ? ". A force d'insistance, j'ai
pu convaincre ma mère et ai pu donc devenir aviateur. Traian
et moi-même avons été des cas particuliers dans
l'Armée de lAir : nous avons en effet tous deux survécu
à la guerre.
Dans I'aviation militaire roumaine, il y eut plusieurs frères
dans le personnel volant. Mais, en 1945, un au moins avait été
tué lors du conflit... Nous avons donc constitué l'exception
confirmant la règle !"
Les débuts
En septembre 1939. le jeune homme entre à l'Ecole militaire
de l'aviation à Cotroceni (Bucarest). Il va y rester jusqu'au
10 mai 1941. Tout au long des hivers, les cours se résunrent
à l'aspect théorique. Lors du beau tcmps, les élèves
peuvent s'adonner à la pratique et voler à Otopeni.
Gavriliu va ainsi tâter surtout
du Fleet, cet appareil antéricain construit sous licence en
Roumanie. A cette époque, les forces roumaines sont engagées
en URSS pour reconquérir la Bessarabie et l'entraînement
des futurs aviateurs de combat s'effectue dans une ambiance semi-guerrière,
nmrême si la bonne humeur est générale. Les élèves
sont alors envoyés à Târgu Jiu pour voler sur
IAR 27 et Polez XXV. Puis c'est le transfert à l'aérodrome
de Ghimbav. près de Brasov. Les jeuncs gens volent sur Nardi
avant d'être séparés. Ceux qui ont été
désignés pour l'aviation de bombardement gagnent Brasov.
Les futurs pilotes de chasse demeurent à Ghimbav et opèrent
sur PZL P.11. un monoplace d'origine polonaise. Tel est bien le cas
pour notre pilote. En novembre 1942. Vasile
Gavriliu cst breveté pilote de chasse et peut ainsi être
affecté a sa première unité.
"Pendant l'hiver 42/43 (c'était l'époque des
terribles combats pour Stalingrad), j'ai rejoint le Grupul
9 (conmandé par le Cdor Gheorghe
Borcescu) basé à Pipera : cela après un
court entraînement sur Messerclumitt Bf 108. Cet appareil nous
permis de prendre les commandes d'un IAR 80 et j'entrai à l'Escadrila
47 commandée par le Capitan Lucian
Toma. Au printenps de 1943, je participai avec mes camarades
à diverses missions de protection locales sur le territoire
roumain. Nous avons également été basés
près du fameux pont de Cernavoda, sur le Danube) pour protéger
cet ouvrage stratégique d'un éventuel raid d'appareils
ennemis.".
Les aviateurs sont alors rappelés à Ploiesti (apparemment
à Targsorul Nou) pour se préparer aux proches opérations
sur le front. Les pilotes passent temporairemcnt de l'IAR 80 au Heinkel
He 112 avant de s'entraîner sur Bf 109 "Emil". 1943
et le
Front de l'Est
Les jeunes pilotes de chasse gagnent alors Tiraspol après
un voyage en Ju 52. C'est sur cet aérodrome qu'ils reçoivent
un rapide entraînement sur Bf 109 "Friedrich" et "Gustav".
Dix pilotes, dont Vasile Gavriliu,
sont alors choisis pour gagner le Grupul 7
à Kramatorskaja. C'est chose faite le 13 août 1943 et
les jeunes gens vont très vite découvrir l'ampleur de
la tâche... Ils vont également côtoyer des as considérés
déjà comnre des êtres d'exception : Constantin
"Bazu" Cantacuzino. Dan Scurtu.
etc. Le Grupul 7 effectue de nombreuses
missions d'escorte pour les Ju 88 du Grupul
5 de bombardement ou les Hs 129 du Grupul
8 d'assault. Gavriliu et ses
compagnons sont rapidement "mis dans le bain" et apprennent
les tactiques de combat de leurs aînés. Les pilotes logent
dans un bâtiment soviétique relativement propre mais,
toutes les nuits, de petits biplans soviétiques Polikarpov
U-2 viennent troubler leur sommeil. larguant quelques bombes de faible
puissance. Le front n'est en effet qu'à une dizaine de kilomètres
et, tout autour de l'aérodrome, des pièces d'artillerie
roumaines à longue portée tirent continuellement sur
les positions soviétiques.
Gavriliu débute sa carrière
de combattant de front comme ailier du célèbre Lieutenant
Horia Agarici. "C'était
un type très poli et fort bien éduqué, un agréable
officier. Mais tous savaient qu'en l'air, il évitait le combat.
Pour nous, il avait peur des engagements aériens. Le 2 septembre
1943, je remportai ma première victoire sur un Jak au NE de
Bolshoy Tokmak. Le 1er octobre, ce fut un P-39 Airacobra (fourni à
l'Armée Rouge par les Américains) près de Genitschesk.
Mes deux victoires furent citées dans l'ordre du jour N°
124. Les combats devenaient de plus en plus difficiles, nos Bf 109
G étant surclassés par les appareils soviétiques
plus perfectionnés. Les derniers Jak, bien sfur, mais également
les La 5 et 9."
C'est à Genitschesk que le Grupul 7
avait reçu ses premiers 109 G-6. L'unité revient alors
au pays pour assurer la "Défense du territoire" (Apararea
Teritoriului). Le Grupul 9 va ainsi demeurer
la seule unité roumaine de chasse sur le front, et se voit
donc renforcer par une escadrille supplémentaire, la 56eme
(Capitan Teodoru) dont Vasile
Gavriliu va faire partie. Avec quelques autres pilotes plus jeunes,
il est en effet transféré au 9eme
Groupe de Chasse. Le 29 novembre 1943v le Sous-Lieutenant Gavriliu
mitraille un aérodrome de fortune au sud-est de Bolshoya Lepetika,
étant crédité, conjointement avec l'adjudant
Laurentiu Catana, d'un Jak détruit
au sol.

1944: Sur deux fronts
L'unité de chasse va participer aux "replis stratégiques"
imposés par un front mouvant et le renforcement des troupes
soviétiques. Elle va donc passer par Nozovaia, Zaporoshe, Lepetika,
Kherson, Nikolajew et Odessa-Dalnik pour aboutir à Tecuci (en
Moldavie) au début d'avril 1944. De cet aérodrome en
sol roumain, les Bf 109 de l'Escadrila 56
volent sur le front de Jassy, un secteur connu depuis son enfance
par Gavriliu... Le 1er février
1944, ce dernier abat un Il-2. Le 12 de ce mois, il prend la tête
de l'Escadrila 56 qu'il mènera
jusqu'à la fin de la guerre (il est alors promu lieutenant).
Le 2 mai, deux Jak tombent sous ses coups aux environs de Târgu
Frumos. Les 5, 11 et 20 de ce mois. trois nouvelles victoires sont
remportées. Le 22 mai, c'est un second Airacobra qui constitue
la huitième victoire de notre pilote.
Selon lui : "Malgré les reculs et le fait que nous
combattions désormais au-dessus du territoire national, le
moral restait bon dans l'unité. Tout allait changer avec les
combats contre l'USAAF. Nous avons alors subi de lourdes pertes dans
ces engagements. Tous les hommes de mon escadrille, y compris moi-mêmre,
ont été abattus (et certains tués) par les américains
". Fait d'autant plus paradoxal que, comme Gavriliu
s'en souvient, " nos appareils arboraient l'insigne du Mickey
Mouse et la plupart des pilotes affectaient de porter la moustache
"à la Douglas Fairbanks". Effectivement, l'ironie
du sort voudra que les Roumains, viscéralement proaméricains,
souffrent durement sous les coups de la XVeme USAAF en raison de leur
alliance avec le III''"" Reich..
Les hommes de Gavriliu devront ainsi
se partager entre deux adversaires : les Soviétiques, bien
sûr, mais également les appareils américains qui
effectuent des navettes principalement entre le Sud de l'Italie et
I'Ukraine (Poltava). Le 22 juillet, notre as est crédité
de son seul P-38 (une victoire confirmée officiellement par
les autorités allemandes) ; il s'agit certainement d'un des
cinq Lightning perdus dans un raid quelque peu audacieux visant les
aérodromes de Zilistea et de Buzau. Escortés par des
P-51, les P-38 des 14 et 82
Fighter Groups ont "strafé" leurs objectifs avant
de continuer leur route vers I'Est pour se poser en Ukraine. Quatre
jours plus tard, le sort est contraire et Vasile
Gavriliu l'échappe belle... " C'était le
26 juillet 1944. Je m'en souviens parce que, ce jour-là, le
capitan Gheorghe Stroici de la 77eme
Escadrille de bombardement fut abattu et tué. Il faisait
partie du Grupul 5 bombardament de Ju
88 A basé à lvesti, tout près de notre aérodrome
de Tecuci. Les avions américains étaient fort actifs
dans la région et Stroici ne resta
pas la seule victime du jour ! Nous avions décollé à
6 h 00 pour tester nos '109 et notre formation avait atteint les 4000
mètres lorsqu'un de nos pilotes, Popovici,
aperçut des Lightning. Nous avons alors gagné Focsani
mais ce fut pour trouver deux P-38 en train de "strafer"
la piste. Nous les avons attaqués. J'allais tirer contre l'un
d'eux lorsque je m'aperçus qu'un Mustang était dans
ma queue. Je pus effectuer une manoeuvre pour le semer mais fus néanmoins
atteint au résewoir. Ne pouvant continuer le combat, je piquai
vers Tecuci où je pus poser mon 109 sur le ventre dans un champ.
Il apparut ensuite que ce fut notre DCA qui "protégeait"
les attaquants puisque mon avion avait en fait été touché
par un projectile de note artillerie antiaérienne. ".
Dans ce combat, le Grupul 9 déplore
plusieurs tués : le célèbre Capitaine Gheorghe
Popescu-Ciocanel qui menait I'attaque, vu l'absence temporaire
du capitaine Serbanescu (grièvement
blessé ce jour, Ciocanel
décèdera sur son lit d'hôpital le 13 août
suivant), l'adjudant Pavel Turcanu, l'adjudant
Alexandru Economu... Gavriliu,
quant à lui, perd son fidèle ailier et ami, l'adjudant
Emil Balan.
Crédité officiellement de cinq victoires sûres
sur des appareils de I'USAAF (dont un B-24 et un P-38) ainsi que de
cinq sûres et une probable sur des avions soviétiques,
Balan est abattu et tué par un
chasseur américain. Tous ces aviateurs ont été
victimes des chasseurs déjà rencontrés quatre
jours plus tôt... Plus utiles en Italie qu'en Ukraine, les Mustang
et Lightning avaient en effet été rappelés dans
le Sud-Ouest et, lors du survol de la Roumanie, les Américains
ont attaqué tout les obiectifs sur leur route. Ils revendiqueront,
entre autres, six Bf 109 près de Focsani (qui ne pouvent être
que
ceux du Grupul 9). En contreparrie. deux
P-38 n'atteindront pas l'Italie.
Le mois d'août sera tout aussi sanglant. Le 18 voit la disparition
du grand as roumain, le Capitaine Alexandru
Serbanescu. Ce jour-là, le Lieutenant Vasile
Gavriliu était également de la partie : "Nous
nous partagions entre Tecuci et Buzau. De cet aérodrome, nous
décollions pour nous opposeraux unités américaines.
Nous disposions de douze appareils, le Capitaine "Bazu"
Cantacuzino était le treizième
homme. Le 18 août 1944, le Groupe opérait près
de Baranov. Un combat eut lieu entre 8000 et 9000 nrètes. Huit
Mustang nous sont tombés dessus et notre unité a subi
de lourdes pertes. Mon appareil a égalentent été
durement touché mais j'ai à nouveau me poser sur le
ventre, cette fois près de Vama Buzau ".

Les combats de l'après-23 aout
1944
Le 23 août 1944 voit le renversement d'alliance de la Roumanie
qui va, dès lors, combattre aux côtés des Soviétiques
contre ses ex-alliés. Dans un premier temps, selon Gavriliu,
les hommes de la 56eme Escadrille (l'unité
a quitté de suite Tecuci pour Cioira-Doicesti) évitent
tout combat avec les chasseurs de la Lufiwaffe (NdA : bien qu'il semble
que tel ne dut pas être le cas pour tous). Mais, lorsque le
général Alfred Gerstenberg ordonne, conformément
aux ordres d'Hitler, les bombardements de Bucarest (la "capitale
des traîtres"), les Roumains doivent tout naturellement
et logiquement attaquer les appareils allemands. Gavriliu
va, dès lors, remporter ses dernières victoires sur
la Luftwaffe. Nous basant sur le document rédigé en
1945 pour l'obtention de la prestigieuse distinction de Michel le
Brave (IIIe' classe), tels furent ses combats de l'après-23
août : "Le 25 août, (Vasile
Gavriliu) attaqua une formation de quinze avions Stuka qui s'apprêtaient
à bombarder la capitale et réussit à en abattre
un au nord du Lac de Snagov. Le 26 août 1944, lors d'un décollage
en alerte pour contrer des bomnardiers ennemis volant vers la capitale,
il réussit à abattre un bombardier He 111 et un trimoteur
Ju 52 transportant des aviateurs allemands venant de divers aérodromes.
Lors de cette mission , il mitrailla un aérodrome allemand
de fortune sur la commune de de Fierbinti. Suite à plusieurs
passages, il put incendier au sol deux Ju 52 trimoteurs et un Ju W
34".
Selon l'intéressé. un des Ju 52 aurait été
la machine personnelle du général Gerstenberg. Mais
ces cinq succès ne sont pas remportés impunément...
Lappareil du Lieutenant Gavriliu
est en effet atteint par des tirs de Flak et son pilote doit, pour
la troisième fois, se poser sur le ventre dans un champ de
mais près de Stefanesti. Le jeune officier s'en tire à
nouveau sans grand mal. Le 7 septembre, le Grupul
9 gagne Turnisor (près de Sibiu) et les combats vont
débuter sur la Transylvanie. En fàit. les engagements
aériens vont être, par la force des choses, très
limités. les Allemands et les Hongrois n'ayant plus guère
d'appareils et encore moins de carburant pour ce front qu'ils jugent
secondaire. Le 15 septembre, lors d'un "strafing" de l'aérodrome
de Someseni (Szamosfalva. au nord de Clui la capitale de la Transylvanie),
le Lieutenant Gavriliu est crédité
d'un Fw 189 détruit (un appareil hongrois ? Son camarade le
lieutenant Ion Dobran détruit
en effet en même temps un autre appareil qui, selon lui, portait
des croix blanches hongroises). Les avions roumains sont ainsi surtout
requis pour des escortes de bombardiers ou des mitraillages de trains
et de gares. Uunité passe par les terrains de Balomir, Turda,
Tursi et Someseni avant de gagner le centre de la Hongrie (Turkeve)
et de terminer la guerre à Piest'any en Slovaquie.

Après-guerre
Cependant. le Lieutenant Gavriliu
ne suit pas son Groupe jusqu'à la fin de son parcours. En effet.
vu l'activité aérienne relativement réduite pendant
les derniers mois de guerre, il est rappelé avec son escadrille
à Popesti-Leordeni. "Pendant toute cette période,
j'ai convoyé des Messerschnitt Bf 109 des usines IAR d'Oradea
vers le front. Lorsque j'étais à Sibiu à la fin
de 44, j'avais pu tester un Fw 190 abandonné par les allemands
en retraite. Il y en avait une bonne demi-douzaine et, ou début
de 1945, j'ai également été chargé de
les convoyer vers Brasov'. A chaque fois, il fallait cependant demander
une autorisation spéciale délivrée par le commandement
aérien soviétique établi à Bucarest".
Mais les Bf 109 ne plaisent guère aux nouveaux "protecteurs"
du pays et tout le matériel allemand sera très vite
remisé dans des dépôts dès juin 1945. Pendant
de courtes années, les anciens combattants roumains vont connaître
une période de relative quiétude. Le 21 septembre 1945,
Gavriliu est proposé pour
l'ordre de Mihai Viteazul (IIIeme classe avec Epées). Dans
le texte de présentation, on rappelle ses 306 vols de guerre,
ses 65 combats aériens, ses 12 victoires certaines, les 2 probables
ainsi que ses trois atterrissages en catastrophe. Le 11 novembre 1946,
Vasile Gavriliu se voit finalement
décerner la Mihai Viteazul cu Spade (avec épées)
en même temps que Constantin
"Bazu" Cantacuzino et Petre Moldoveanu,
le commandant du Grupul 5. A cette époque,
Gavriliu est devenu le commandant
de l'escadrille spécialisée qui rassemble des IAR 80
et quelques rares Bf 109. Il mènera également la flotille
de chasse de Popesti-Leordeni. Pendant un temps, il sera pilote d'essai
aux usines de Cotroceni qui réparent Nardi FN-305 et IAR 80.
Mais en 1952, alors qu'il mène I'unité de chasse de
Brasov, notre pilote est contraint de quitter l'armée comme
tous ceux ayant combattu contre les forces soviétiques entre
1941 et 1944. Pendant deux années. il va travailler comme ouvrier
tourneur en usine... Il sera alors repris comme chef de l'école
de pilotage civil de Baneasa et pourra de plus suivre des cours d'ingénieur.
Ayant décroché son diplôme, il achèvera
sa carrière dans l'aviation civile (entre autres au CIPA) et
sera pensionné en 1979.
Vasile Gavriliu est décédé
le 14 juin 2002 à Bucharest.
