lon Dobran (Fakirul : le fakir) est un de ces as de l'Aviation Royale
Roumaine peu connus car ne possédant pas un palmarès
prestigieux comme Serbanescu ou
Cantacuzino. a carrière
"linéaire" s'apparente à celle de son camarade
de promotion Vasile Gavriliu
et même à celle de son homologue Di
Cezare. Même si la propagande ne plaça guère
ces pilotes sur le pavois, ceux-ci, par leur sérieux et leur
régularité, allaient cependant se révéler
comme des piliers de l'arme de chasse roumaine, tout en constituant
d'indéniables exemples pour leurs subordonnés et leurs
cadets.
Le 23 novembre 1916, Bucarest est évacuée puis capturée
par les soldats de l'armée germano-austro-hongroise. Le sous-officier
de gendarmerie Dobran n'attend pas l'occupation effective pour évacuer
avec son épouse, qui exerce la profession de sage-femme, par
crainte des excès de la soldatesque ennemie. ll va ainsi s'établir
à Valeni Podgoria, près de Pitesti ; une fille y naîtra
en 1918. Fin octobre 1918, l'armistice est signé et la Paix
revient enfin. Le second enfant du couple Dobran,
lon, voit le iour quatre mois plus tard,
soit le 5 février 1919.
Le garçon entre à l'école de Stefanesti, achevant
son cycle d'études primaires dans un lycée de Bucarest.
Mais lorsque lon atteint ses douze ans,
son père l'envoie d'autorité à Tirgu Mures, au
lycée militaire "Mihai Viteazul". La carrière
du jeune garçon est tracée : il entrera à l'armée.
Mais pourquoi avoir par la suite "obliqué" vers l'aviation
? Selon l'intéressé : "C'est une question à
laquelle il rn'est actuellement fort difficile de répondre.
En 1934, à Tigu Mures, j'ai vu se poser tout près de
moi un avion tout en toi,e et ai pu le contemplet à loisir.
C'est peut-être cet épisode qui, inconsciemment, m'a
poussé vers l'aviation...". En 1935, seul de sa classe,
le garçon se fera d'ailleurs membre de l'ARPA (l'association
roumaine pour la Propagande de l'aéronautique), ce qui prouve
son réel intérêt pour l'aviation.

En septembre 1939, âgé de vingt ans, lon
Dobran entre à l'école de Cotroceni oùr il
va se lier avec divers camarades de promotion dont Vasile
Gavriliu, lon
Galea, Constantin Rosariu ou Horia
Pop. Comme Gavriliu, il vole
sur Fleet et Potez XXV avant de se perfectionner sur Nardi, IAR 27
et PZL P 11 à Tirgu Jiu puis à Ghimbav (Brasov). Pour
lui, "cette pétiode fut très agréable.
Nous étions tous très heureux de voler et il y eut fort
peu d'accidents malgré l'ambiance très détendue".
En 1942, le jeune officier est versé à la Flotila
I Vonotoore, basée à Pipera et équipée
d'lAR 80 ("Une bien bonne machine pour cette époque
mais qui allait étre très vite dépassée",
selon lui). Menée par le Commondor Mihail
Romanescu, la flotille de chasse est incluse dans le Grupul
9. "Nous avons un peu tâté du Heinkel 112
mais seulement pour la transition, c'est-à-dire pour passer
des appareils d'écolage à l'IAR 80. Le He 1l2 avait
une forme aérodynamique et ressemblait à un requin mais
il n'était, au point de vue performances, guère différent
de l'IAR". Les aviateurs, suite à l'opération "Halpro"
du 11 juin 1942, première et courle intrusion des bombardiers
américains dans le ciel roumain, vont se consacrer à
la défense du territoire et être envoyés un peu
partout dans le pays pour contrer les éventuels intrus. ll
n'y aura cependant aucune nouvelle attaque à cette période,
et donc aucun engagement. Cet écolage opérationnel terminé,
plusieurs jeunes pilotes doivent alors gagner le front de I'Est. Dobran
est un de ceux désignés pour théâtre de
guerre. . .

Le Lt. av. Ion Dobran
volera sur cet IAR-80 au cours de l'année 1942, participant
aux missions de protection du territoire national avec le 9eme
Groupe de Chasse
|
Le tour de mâgie du "Fâkir"
!
A cette époque, les combats de Stalingrad ont pris fin depuis
plusieurs semaines. [aviation royale roumaine, réengagée
en URSS à la mi-1942. a pris tristement conscience lors des
très durs combats hivernaux de la vétusté de
son matériel. Ses chasseurs (entre autres) doivent être
remplacés, les IAR 80 et Bf 109 "Emil" étant
d'une autre génération. Les jeunes aviateurs désignés
pour le combat gagnent ainsi Tiraspol après un court voyage
en Ju 52, afin de se réentraîner sur Bf 109 F et G
(le "Gheu", selon la prononciation roumaine) sous la houlette
de pilotes allemands. C'est ainsi que Dobran
va faire connaissance avec le Leutnant Helmut
Lipfert. Né en 1916, cet ex sous-officier des blindés
est encore inconnu. Passé en 1941 à la Luftwaffe, il
a été versé fin 1942 au 6./JG
52. ll n'est à cette époque titulaire que de quelques
Luftsiege, mais n'en terminera pas moins la guerre avec 203 victoires
confirmées et décoré de la Croix de Chevalier
avec Feuilles de Chêne. Lipfert
est un des Allemands désignés pour instruire les nouveaux
venus. Lui-même n'ayant qu'une expérience relativement
limitée doit considérer les Roumains plus comme des
camarades de son âge que comme des élèves, ce
qui lui vaudra bonne presse auprès de Dobran
et des compatriotes de ce dernier.
Un jour, l'Allemand lance le pari habituel des entraînements
: demeurer continuellement en formation avec lui. Dobran
décide de relever le gant et, dès le décollage,
suit Lipfert comme son ombre en tant
que Kaczmarek (ailier). L'Allemand se lance dans diverses acrobaties
et effectue pas moins de quatorze passages au-dessus du terrain en
rasant le sol. Peine perdue, il ne peut décrocher le Roumain.
A l'atterrissage, on découvrira que pour "coller"
à son Rottenfiihrer Dobran a
volé encore plus bas que ce dernier, tellement bas... que les
pales de son hélice ont arraché des mottes de terre
qui souillent touiours l'avant de son "Gustav" ! Lipfert,
impressionné par l'étonnante performance du Roumain,
lui décerne alors le surnom de "Fakir" qui colle
bien à son aspect ascétique. Cette appellation fera
mouche et lui restera attachée... Ce qu'ignore l'Allemand,
c'est que Dobran a un "truc"
: l'axe de relevage du Bf 109, dont les orifices sont placés
à l'arrière du fuselage. En s'alignant sur eux de telle
sorte qu'il puisse voir le ciel à travers, lon
a remarqué qu'il était strictement parallèle
à son instructeur... mais toujours un mètre plus bas
!
Les rapides débuts d'un As.
" 14 août 1 943 : nous sommes finalement bons pour
l'Est. A 10 h 55, nous décollons de Tiraspol pour voler directement
vers Kramatorskaja. Du vieux Ju 52, nous lançons des regards
vers le sol qui se déroule de manière monotone. Tout
le monde est silencieux, les neuf membres du Grupul 9 sont plongés
dons leurs pensées. Qui sont-ils ? Les Sous-Lieutenants Vasile
(Chitu) Gavriliu et lon Dobran
ainsi que les adjudants Bedreaga, Botnar, Onofrei,
Nicoaro, Miron, Iliescu et Iosif Moraru.
J'oublie le lieutenant Nicki Batroaul
(le vieux !). Certains sont malades vu les turbulences. (...) Nous
arrivons à 14 h 05. En attente sur la piste, nous apercevons
un Yak effectuant de larges cercles dans le ciel juste au-dessus de
nos têtes. C'est un appareil de reconnaissance qui évalue
les forces présentes. Les canons de DCA tirent sans grande
conviction... Tel est notre accueil du front".
C'est ainsi que commencent les carnets de lon
Dobran, carnets qu'il rédigera pendant toute la guerre.
Leur entraînement terminé, les jeunes aviateurs tagnent
en effet le Grupul 7, qui opère
à cette époque de Kramatorskaja. C'est une unité
d'élite réunissant des pilotes très expérimentés
dont la réputation n'est plus à faire. Mais ces aviateurs
qui combattent depuis trop longtemps (certains depuis Stalingrad)
sont progressivement relevés par des compatriotes venus de
I'arrière. Le lendemain de son arrivée, le Sous-Lieutenant
Dobran est de suite "mis dans
le bain"' Il découvre très vite la différence
entre écolage et guerre réelle.
"Nous avons engagé onze chasseurs ennemis (...) mais
avec une totale impatience je tire de trop loin et les jak piquent
avant même d'être touchés". ll va pourtant
bénéficier d'une chance quasi incroyable : "Par
inadvertance, au cours de diverses monoeuvres je perds Colea [Nicolae
Naghirneac] et gagne de l'altitude. Quatre jak se placent dans ma
queue, trois autres évoluant plus bas à droite. Je me
lance dans une nouvelle monoeuvre mais ils me tombent dessus et commencent
à me mitrailler. Les quatre appareils les plus proches passent
cependant à une centaine de mètres en-dessous de moi.
Je deviens euphorique et me mets à rire tout seul. Je me sens
calme et en possession de tous mes moyens ; ils ne peuvent rien me
faire. Maintenant que je suis au-dessus d'eux, je leur suis supérieur.
Je regarde tous azimuts pour vérifier si aucun autre ennemi
ne me menace puis je me relance au combat encore et encore. Soudain
un des appareils me coupe littéralement la route et nous manquons
de nous percuter. Je lui décoche toutes mes munitions. (...)
Avec regret, je quitte les lieux en piqué". Au retour,
le jeune pilote est congratulé et crédité sur
le champ d'une victoire remportée lors de son premier vol de
guerre. En fait, ce succès ne sera pas confirmé. Qu'importe
!
Ce n'est pas une déception pour le nouvel arrivé puisque
ce combat lui a donné largement confiance. On notera le calme
avec lequel notre pilote a, pour la première fois, affronté
plus d'une demi-douzaine d'appareils soviétiques. Ce flegme,
qu'il conseruera toute sa vie, donne toute sa saveur à son
surnom de "Fakir".

Le Lt. av. Ion Dobran
volera sur ce Bf 109G4 du Grupul 7 en 1943
|
Premières victoires
Très vite, le Sous-Lieutenant Dobran
s'accoutume à la difficile vie du front : les baraquements
spartiates et humides, les bombardements de nuit de I'aviation soviétique,
le manque d'hygiène, etc. Les missions se succèdent
: escortes des Ju 87 et 88, chasses libres, missions de protection
du terrain... Le 6 septembre, il remporte enfin sa première
victoire homologuée, un ll-2 d'une formation venue (escortée
par des La-5) pour bombarder le terrain roumain. L'llyouchine s'abat
près de Blizneti. Trois jours plus tard, Dobran
combat un autre de ces avions d'assaut dans le même secteur
et remporte une nouvelle victoire qui ne lui sera pas confirmée.
Le 25 septembre à 11 h 35, le jeune pilote décolle avec
l'adjudant Iosif Moraru pour escorter
des Ju 87 Stuka. Près de Togmaciansk, leurs protégés
sont attagués par des Yak. Dobran
intervient et constate à la seconde rafale de son canon axial
de 20 mm que l'aile d'un Russe se brise : c'est son second succès
homologué. Les semaines qui se succèdent voient de nombreuses
opérations et des combats sans résultat contre les chasseurs
soviétiques ; l'hiver freine largement les sorties. Le 23 octobre,
le Grupul 7 est officiellement retiré
du front, sa place étant reprise par le Grupul
9 dont les composantes ont assuré progressivement la
relève. Néanmoins, 14 des meilleurs pilotes (Serbanescu,
Cantacuzino, Milu,
Greceanu, etc.) vont demeurer au
neuvième Groupe.
Au début de 1944, le Grupul 9
gagne Lepeticka, un des nombreux aérodromes de repli de l'unité.
Le 20 février, notre "Fakir" vole comme ailier du
Capitaine Serbanescu lors de sa
troisième mission de la journée. "Nous étions
dans une formation de cinq appareils dont l'un piloté par l'officier
allemand de liaison. Près de Krivoi Rog, nous avons engagé
le combat avec six Jak. Serbanescu
a attaqué de suite mais a manquésa cible. J'ai pu mieux
ajuster mon tir et j'ai ainsi remporté ma troisième
victoire. Le capitaine s'est alors ressaisi et a pu, cette fois, remporter
de même une victoire".
Défense du territoire
Le Grupul 9, vu l'avance soviétique,
regagne début avril Tecuci sur le territoire national. A cette
époque, lon Dobran a
été promu lieutenant. ll n'est plus temps de reculer.
Le 4 avril 1944, la 15 th USAAF a lancé ses premiers raids
sur la capitale et les champs pétrolifères roumains
au départ de l'ltalie. Pour sa part, toujours tourné
vers l'Est, le Grupul 9 continue sa lutte
contre les appareils de l'Armée Rouge. Le 11 avril 1944, Dobran
participe à l'escorte de Henschel Hs 123 au nord de Iasi.
ll engage avec deux ailiers le combat contre quatre La-5 et deux
Yak-7 (ou 9) et en abat un près de Targu Frumos. Six jours
plus tard, il remporte une victoire probable sur un Il-2 près
de lasi, puis une autre le 19 sur un La-5 à Nistru. Le 11 mai,
lon note dans son carnet qu'un nouveau
"LaGG-5" tombe sous ses coups ; le chasseur soviétique
constitue sa cinquième victoire confirmée. Le 23 mai,
douze Messerschmitt qui effectuent une mission de "chasse libre"
au nord de Grigoriopol abattent trois Yak, dont est crédité
à la patrouille Dobran - Greceanu
- Economu - Naghirneac
- Panaite. Conformément aux
règles de l'aviation royale roumaine calquées à
l'époque sur celles de la Luftwaffe, l'appareil n'est pas attribué
individuellement et n'apparaît donc pas dans le palmarès
de l'as... qui se rattrape le 3l md au cours d'une mission menée
en compagnie du Capitaine Serbanescu,
chacun des pilotes détruisant un ll-2 vers lasi.
Le 6 juin 1944, jour du débarquement allié en Normandie,
le Grupul 9 va affronter pour la première
fois les appareils américains. Ce combat est une des conséquences
des fameuses missions "Frantic", les navettes effectuées
par les chasseurs et bombardiers américains entre l'ltalie
et la piste ukrainienne de Poltava. A cette époque, la 15 th
USAAF dispose d'une formation de B- l7 ainsi que d'une escorte conséquente
de P-5 l. La Petite armada va donc effectuer un vol aller-retour d'Ukraine
pour bombarder Galati. Son entrée dans l'espace aérien
roumain surprend Dobran et trois camarades
alors qu'ils jouent paisiblement aux cartes ; tous sautent en urgence
dans leur Bf 109 G. Les Roumains vont pouvoir ainsi contempler pour
la première fois les lourds et puissants quadrimoteurs "made
in USA' évoluant en formation compacte. lon,
sans doute plus rapide que ses compagnons, se retrouve vite seul en
plein ciel. Il repère quatre chasseurs évoluant plus
bas que lui et, pensant qu'il s'agit de "Gustav" de la 56eme
Escadrille, s'en rapproche. Ce sont en fait des P-51 au nez
rouge dont les pilotes ne l'ont pas remarqué. Le lieutenant
Dobran ajuste le Mustang de droite
dans son viseur Revi et lui décoche une longue rafale, son
adversaire quittant alors en feu sa formation. Les trois autres Américains,
vite revenus de leur surprise, contre-attaquent alors que le Fakir"
tente de s'approcher des Flying Fortresses. En usant de diverses manoeuvres,
le jeune pilote réussit à semer deux de ses poursuivans
mais le troisième, plus tenace, finit par le toucher : lon
réussit néanmoins à se poser normalement. N'étant
que légèrement contusionne, il reprendra très
vite du service.
Les engagements se succédant, notre aviateur qui se remémore
ses souvenirs du lycée décide de choisir une devise
: "Panta reii" [Tout coule... rien ne reste] qu'il
fait peindre sur l'avant de son "Gustav" arborant le N°
22. "Les combats aériens continuels, la perte régulière
de mes camarades, l'impression que la fin pouvait être proche
(y compris celle de mon existence), ... tout cela ne pouvait que souligner
le caractère très éphémère de notre
vie". Les événements vont vite lui donner raison
! Le 26 juillet, les appareils du 9eme Groupe
décollent en urgence sous le commandement du Capitaine Gheorghe
Popescu-Ciocanel. Les services de détection locaux,
fort mal inspirés, ont signalé l'arrivée vers
Barlad de 20 bombardiers américains non escortés. Malheureusement,
les Roumains vont se heurter à 55 Lightning assistés
de 47 Mustang... Ces chasseurs basés à Poltava regagnent
l'ltalie où ils seront bien plus utiles qu'en Ukraine. Au cours
de leur survol de la Roumanie, les pilotes américains revendiquent
18 victoires dont 6 Bf 109 près de Focsani.
En fait, sept appareils du Grupul 9
sont abattus ce jour. Dobran, qui est crédité d'un P-38,
se fait descendre à nouveau mais s'en tire une fois de plus
sans mal. ll a plus de chance que Popescu-Ciocanel
qui décédera le 12 août à l'hôpital
des suites de ses blessures. Cet as aux 12 victoires n'est, hélas,
pas le seul tué de l'engagement. Le Grupul
9 perd également les adjudants Emil
Balan (10 victoires), Alexandru Economu
et Pavel Turcanu. Les adjudants loan
Mucenica (24 victoires) et Andrei
Radulescu (7 victoires) demeureront quant à eux fort longtemps
à l'hôpital. Ce 26 juillet est une journée à
marquer d'une pierre noire dans l'histoire du 9eme
Groupe... Ce ne sera pas la seule ! Le 11 août 1944 voit
le dernier combat du plus grand as roumain, le Capitaine Alexandru
Serbanescu. ll incombera à Dobran,
un des habituels ailiers du défunt, de rechercher le corps
de son supérieur. Dans un Fieseler Fi 156 Storch, notre pilote
va couvrir la region où a disparu Serbanescu
avant de retrouver l'épave avec le corps de l'aviateur. Deux
jours après cette perte irréparable, lon
vole comme ailier du Capitaine Cantacuzino.
Tous deux affrontent deux Yak qui sont abattus ; celui du "Fakir"
constitue sa dernière victoire sur un appareil soviétique.

Messerschmitt Bf 109G-6
" t bleu" du Lt lon Dobran, Cdt de l'Escadrille 48
du
Grupul 9. Turnisor (Transylvanie) 25 septembre 1944.
|
Dans l'autre camp
Le 23 août 1944, la Roumanie passe du côté des
alliés, c'est-à-dire de l'URSS vu I'invasion de son
territoire par l'Armée Rouge. Les aviateurs roumains vont devoir
dès lors lutter contre les Allemands. Si la décision
politique peut s'expliquer, du point de vue humain cette volte-face
sera difficilement ressentie par de nombreux combattants ; spécialement
dans les unités ayant eu des contacts serrés avec l'ex-allié.
Dobran a été entraîné
par des Allemands, a sympathisé avec son homologue Lipfert,
a eu de très bons contacts avec les officiers de liaison de
la Luftwaffe... Tout cela explique les réticences de bien des
pilotes à se retourner contre les camarades de la veille. Mais
un ordre est un ordre et leurs scrupules sont très vite balayés
par les événements lorsque, en représailles,
la Luftwaffe est engagée contre Bucarest. Le 25, lon
Dobran intercepte une formation de Heinkel 111 (probablement du
KG 4) engagée sur la capitale
et remporte sa 10eme et dernière victoire confirmée
sur un de ces bimoteurs.
S'ensuit une courte période de réorganisation. Les
Roumains accueillent des envoyés de l'Armée Rouge qui
évaluenr le matériel et le personnel. Ensuite, les forces
aériennes roumaines sont inventoriées par le nouvel
allié soviétique qui prépare les campagnes à
venir. Le Grupul 9 est ainsi envoyé
en Transylvanie pour continuer la lutte contre les forces germano-hongroises,
mais les engagements y sont rares. Certains vont être cruels
comme on le découvrira après-guerre. En quelques occasions,
des Bf 109 roumains tomberont ainsi sous les coups de pilotes experimentés
de la JG 52. ll semble donc que des Roumains
périrent de la main de ceux qui furent leurs instructeurs et
leurs camarades de beuverie de l'année précédente...
Heureusement, pareil dechirement est épargné au Lieutenant
"Fakirul" Dobran qur continue
à accumuler les missions d'escorte et de mitraillage au sol,
détruisant ainsi le 15 septembre 1944 un Re 2000 "Héla"
lors du strafng de l'aérodrome hongrois de Someseni (près
de Cluj). ll participe aussi à des chasses libres au cours
desquelles il revendiquera son dernier succès en collaboration,
le 25 septembre. Ce jour-là, lon
aide le Capitaine Toma Lucian à
abattre un Ju 88 de reconnaissance intercepté à 8000
m d'altitude. Hélas, Lucian est
mortellement touché par le mitrailleur du Junkers. Dobran
devient alors et jusqu'à la fin du conflit le commandant de
la 48eme Escadrille. Au début du mois de mai 1945, le Gupul
9 est à Piestany en Tchécoslovaquie. Le 9 mai,
notre pilote effectue ses deux dernières missions : une escorte
d'un IAR-39 larguant des tracts, puis un vol en formation sous le
commandement du Capitaine Cantacuzino.
ll ne reste plus alors gu'à revenir au pays, après 340
missions de guerre et 74 combats aériens...
L'après-guerre
'Après la victoire de mai 1945, je fus un des rares officiers
(avec Vasile Gavriliu
et lon Galea) à demeurer
dans la nouvelle aviation roumaine. Je me suis marié le 6 décembre
1946 et Cantacuzino fut mon parrain.
Un peu plus d'un année plus tard, il quittoit définitivement
la Roumanie lors d'un passage en ltalie. J'ai commandé le 1er
régiment de chasse (car, selon les normes militaires soviétiques,
les groupes étaient devenus régiments). En 1950, j'ai
été désigné comme chef de la section école
pour toute l'aviation. Nous avons entraînés de nombreux
jeunes pilotes et préparions, sans le savoir, notre remplacement.
Effectivement, peu après, de nombreux adjudants furent promus
en bloc officiers, ce qui a permis de renvoyer tous ceux qui avaient
opéré contre l'Union Soviétique".
Mis à pied en avril 1952, lon
Dobran devient tourneur à I'Usine "Temps nouveaux".
Son salaire mensuel passe de 1800 à 200 lei, mais comme il
le reconnaît lui-même, "c'était gênant
pour vivre mais j'étais néanmoins fort content de ne
pas avoir été arrêté et jeté en
prison comme tant de mes camarades". ll travaille après
comme technicien jusqu'en 1964. S'ensuit une période peu agréable
comme pilote dans l'aviation agricole. Aux commandes d'un IAR-813,
l'ex-as de la chasse doit pulvériser des insecticides sur les
récoltes ! Heureusement, lon va
être à son tour contacté par le fameux général
Dumitru Balaur qui recrute la crème des "réprouvés
militaires" dans le but de renforcer l'aviation civile. Dobran
entre donc à la Tarom où il va voler comme commandant
de bord dans toute I'Europe (Paris, Bruxelles, Athènes, Copenhague,
etc.), mais également vers Tel Aviv et d'autres destinations.
Bien que n'ayant pas sa carte du parti communiste' il sera néanmoins
désigné comme commandant du détachement des llyouchine
ll-14. Retraité en 1973, lon
Dobran, "le fakir", vit toujours à Bucarest'

Gen. Constantin Balta (Gauche) et Gen. Ioan Dobran
(droite)