VIETNAM - RECONNAISSANCE SUR LE NORD ciel de gloire - histoire des as de l\'aviation de 1914 à nos jours



 


 

 



AU-DESSUS DU NORD VIETNAM

 


Le facteur aérien fut d'une importance déterminante dans la guerre du Viêt-nam, et les avions américains accomplirent les missions les plus diverses lors de ce conflit. Évoluant à des altitudes où ils pouvaient opérer en toute impunité, les SR-71 et les U-2 de l'US Air Force jouèrent un rôle essentiel, en renseignant les plus hautes autorités sur les activités des Nord-Vietnamiens et des Chinois.

Lorsqu'un Lockheed U-2 travaillant pour le compte de la CIA fut abattu par un missile sol-air au-dessus du territoire soviétique, en 1960, le président Eisenhower promit que plus aucun avion de ce type ne survolerait désormais l'Union soviétique. Deux mois plus tard, un Boeing RB-47H du 55th Strategic Reconnaissance Wing fut descendu à son tour dans des circonstances pratiquement identiques. Les autorités du Kremlin l'ayant accusé d'avoir manqué à sa parole, le président des États-Unis réitéra alors sa promesse, ce qui mit fin pendant un temps aux activités de reconnaissance américaine. Ne pouvant rester longtemps dans l'ignorance de ce que faisaient les Soviétiques, les Américains reprirent leurs vols d'espionnage moins de un mois plus tard, mais en employant des méthodes fondamentalement différentes des précédentes. Les survols de la Chine communiste furent confiés aux pilotes de la force aérienne taïwanaise, et l'emploi de la flotte de Lockheed U-2, affectée à des sorties de reconnaissance météorologique et à diverses autres tâches secondaires, fut réservé aux périodes de crise aiguë ou de guerre. Les premiers U-2 avaient, été produits pour la CIA, les services de renseignement américains ayant pris en compte des appareils de ce type un an avant que l'US Air Force n'eût réceptionné les siens, en juin 1957. Les U-2 de la CIA reçurent une livrée noire, tandis que ceux de l'USAF furent peints tout d'abord en argent puis en gris. L'Air Force employa ces appareils pour des missions de recueil de renseignements classiques, et la CIA les engagea dans des sorties d'espionnage à haute altitude. Rapidement, dans tous les centres de renseignement américains répartis dans le monde, l'U-2 fut surnommé Useless Deuce.

 

U-2

 

Opérant à des altitudes et dans des conditions que personne n'aurait osé imaginer quelques années auparavant, les U-2 de PUSAF étaient manoeuvrés par l'élite des pilotes de cette force aérienne. Ces hommes à part, fiers du matériel qu'ils utilisaient, rongèrent leur frein pendant toute la période au cours de laquelle les U-2 furent cantonnés dans ce qu'ils considéraient comme des tâches subalternes. Si les appareils n'étaient pas utilisés rapidement, le moral des hommes déclinerait certainement, et la discipline s'en ressentirait; en outre, les États-Unis se devaient de reprendre leurs activités de renseignement s'ils souhaitaient conserver de bonnes relations avec les pays amis. Un dessin animé connut alors une certaine vogue parmi les pilotes d'U-2. Il représentait deux vautours perchés sur un cactus, attendant qu'un prospecteur assez fou pour le faire traverse le désert. L'un des deux rapaces, prêt à s'envoler de son perchoir, disait à l'autre : « Patience. J'arriverai bien à tuer quelque chose. »

La crise de Cuba, qui survint en 1962, fut l'occasion que les pilotes d'U-2 attendaient depuis longtemps; La situation se détériorant chaque jour, les avions espions de l'US Air Force furent chargés d'assurer une étroite surveillance de l'île. Cet engagement devint de plus en plus important, les pilotes américains menant, au plus fort de la crise, cinq ou six missions quotidiennes au-dessus du territoire ennemi. Le travail qu'ils accomplirent fut impressionnant, et le moral remonta. Pourtant, le prix à payer fut élevé. Le 4080th Strategic Reconnaissance Wing perdit trois pilotes et quatre avions au cours de l'affaire cubaine. Quand les choses revinrent à la normale, les U-2 n'effectuèrent plus qu'une seule mission par jour, en compagnie d'un RB-47H. De telles sorties devinrent aussi routinières que celles auxquelles avait été cantonnée la flotte d'U-2 avant les événements de Cuba.

Le temps où les pilotes américains pouvaient craindre qu'un missile SA-2 ou qu'un MiG-21 surgisse brusquement et les expédient au sol était passé. Les équipages américains d'U-2 et de RB-47H attribuèrent par dérision à de telles sorties l'appellation officieuse de Lost Cause (« cause perdue »), alors qu'elles étaient dénommées officiellement Common Cause (« cause commune »).

 

SR-71


Dragon Lady part en guerre

Le moral des pilotes de Lockheed U-2, qui avait été affecté jusqu'alors par l'aspect répétitif des missions et par une proportion d'accidents élevée, s'améliora nettement quand ces appareils furent engagés en Asie du Sud-Est. Les Dragon Lady partaient en guerre pour de bon. Équipés pour la reconnaissance photographique et l'espionnage électronique, les U-2 abandonnèrent les sorties fastidieuses du temps de paix. Par ailleurs, les pilotes apprécièrent le fait que leurs U-2A eussent été mis aux standards U-2C, par l'adoption du réacteur Pratt & Whitney J75-P-13, à la poussée plus importante, et par la mise en place de nouveaux systèmes. Les U-2 n'étaient plus désormais limités par des problèmes de puissance, et ils furent en mesure d'emporter des capteurs de plus en plus nombreux et sophistiqués.

Basé à Davis-Monthan AFB depuis moins de un an, le 4080th Strategic Reconnaissance Wing reçut l'ordre de gagner le Viêt-nam avec ses U-2 et ses Lockheed DC-130 de guidage de drones. Cette unité s'installa alors à Biên Hoa, les U-2, intégrés dans l'Operation Location (OL) 20, étant baptisés du nom de Lucky Dragon et les DC-130 de celui de Blue Spring.

 

Pilote de U-2


Les premiers de ces appareils furent immédiatement employés pour la mission en vue de laquelle ils avaient été conçus : la photographie à haute altitude. Ils furent engagés au-dessus des zones de combat pour rapporter le plus grand nombre possible de clichés, avec des récepteurs électroniques qui avertissaient les pilotes que leur appareil était pris dans le faisceau du radar d'un missile SA-2 ou d'un MiG-21. De temps à autre, ils emportèrent des capteurs préréglés au sol mais dont la fréquence pouvait être modifiée soit par le pilote, soit par une station au sol. Les missiles sol-air SA-2, qui avaient prélevé un lourd tribut sur les U-2 au-dessus de Cuba et de la Chine, représentaient la menace que craignaient le plus les pilotes américains. La prolifération de ces engins et l'efficacité de plus en plus grande dont faisaient preuve les drones Ryan AQM-34 incitèrent les responsables de l'US Air Force à réduire le nombre de sorties confiées aux U-2. Au cours d'une mission pendant laquelle il travaillait en coopération avec un drone, en se maintenant hors de portée des sites de missiles solair ennemis, le pilote d'un U-2 assista à la destruction de l'engin guidé. La façon dont il rendit compte de l'impressionnante efficacité du SA-2 convainquit les autorités locales de modifier la nature des tâches confiées aux U-2. Ces avions furent utilisés de plus en plus pour la collecte de renseignements électroniques, mais ils accomplirent de temps en temps des missions photographiques. Les drones et les Lockheed SR-71 convenant mieux à ces dernières, les U-2 furent bientôt entièrement affectés à la surveillance des émissions radio et électromagnétiques de l'adversaire. Plusieurs versions spécialisées dans cette tâche firent leur apparition, la plus inhabituelle étant celle consistant en un U-2F équipé de deux antennes fixées sur l'arrière du fuselage et ressemblant à la ramure d'un cerf. Deux de ces avions (56-6680 et 56-6707) furent utilisés à partir de 1964.

 

SR-71


Transformations profondes

L'engagement des U-2 au Viêt-nam, connu dans un premier temps sous l'appellation d'opération Lucky Dragon, reçut ensuite le nom de Trojan Horse puis ceux d'Olympic Torch, de Senior Book et de Giant Dragon. Les missions confiées aux U-2 avaient subi de profondes transformations depuis que ces appareils étaient arrivés en Asie du Sud-Est, et elles devaient évoluer encore avant qu'ils ne quittent le Viêt-nam du Sud. Le 4080th Strategic Reconnaissance Wing prit la désignation de 100th Strategic Reconnaissance Wing le 11 février 1966, et l'unité équipée d'U-2 devint le 349th Strategic Reconnaissance Squadron. Le 11 juillet 1970, ces appareils quittèrent Biên Hoa et gagnèrent U-Tapao, en Thailande. L'OL 20 fut alors rebaptisée 99th Strategic Reconnaissance Squadron. Le changement le plus significatif était cependant l'arrivée d'U-2R.

Les limites en matière de poussée qui avaient caractérisé l'U-2A avaient pu être dépassées par l'adoption du réacteur J75, qui permit de réaliser la version U-2C. Mais l'U-2R affichait des capacités encore plus importantes, notamment dans les domaines de la charge offensive, de la distance franchissable et de la sécurité. Avec ses 7,01 m d'envergure supplémentaires, l'appareil avait une surface alaire supérieure de 37,16 m2 à celle de l'U-2C et un meilleur rapport traînée/portance. Il pouvait emporter beaucoup plus de capteurs et disposait de commandes de vol avancées. Ces améliorations permirent de diminuer le taux d'attrition par accident, particulièrement à basse altitude. Ayant effectué son vol initial en août 1967, l'U-2R entra en service à la fin de l'année 1968.

 


Le 4080th Strategic Reconnaissance Wing réceptionna ses U-2R avec une livrée gris et argent, si bien que les pilotes se plaignirent très vite d'être trop facilement repérés par l'ennemi, aussi bien en l'air que depuis le sol. Ils parvinrent alors à convaincre les autorités qu'il convenait de peindre les appareils en noir. Pendant l'automne de 1964, un certain Major Smart avait constitué un stock de peinture de cette couleur au Viêt-nam. Les équipes au sol d'Andersen AFB ayant refusé de se livrer à l'opération, les responsables du 4080th Strategic Reconnaissance Wing durent faire avec ce qu'ils avaient. L'improvisation étant de règle dans les unités chargées des missions spéciales, les pilotes de cette formation trouvèrent le matériel nécessaire, obtinrent un hangar, effectuèrent le travail eux-mêmes puis convoyèrent leurs U-2 jusqu'à Biên Hoa.

 

Equipage d'un SR-71


Nouvelle livrée

Un pilote d'U-2 rapporte l'histoire suivante à propos des livrées de cet appareil : « J'ai observé des U-2 et des SR-71, aussi bien au sol qu'en l'air, et je puis vous assurer qu'ils étaient pratiquement indécelables avec la livrée grise que l'US Air Force a adopté, et ce quel que soit le temps. Par contre, un avion peint en noir est beaucoup plus visible. Le problème de la détection visuelle doit cependant être ignoré dans ce cas. Un appareil arborant une livrée noire est sinistre et s'identifie à quelque chose de mystérieux. Aucun avion espion ne pourrait être peint autrement qu'en noir. Cette peinture contient de petites particules métalliques qui absorbent les ondes radar et qui augmentent le poids de l'appareil d'une vingtaine de kilos, mais elle ne lui permet pas de passer inaperçu - sauf si vous volez par une nuit sans lune avec vos feux éteints. Je soutiens que l'adoption de cette livrée résulte uniquement d'un besoin de se singulariser de la part des pilotes. La meilleure preuve en est fournie par l'histoire suivante. Lors d'un meeting en Grande-Bretagne, nous présentions quelques U-2. Un SR-71 et deux U-2 peints en noir étaient groupés avec un U-2C à la livrée grise opérant depuis le territoire britannique (les autorités britanniques avaient refusé que des U-2 de cette couleur soient basés au Royaume-Uni). A plusieurs reprises, je vis des gens se diriger vers l'U-2 gris et demander de quel avion il s'agissait. »

Au départ, les U-2 furent déployés à l'extérieur des États-Unis dans le plus grand secret. Les avions étaient en partie démontés, embarqués sur des cargos et déchargés pendant la nuit, à l'abri des regards indiscrets. Ils étaient ensuite entreposés dans des hangars situés à l'écart des installations normales et prenaient l'air en général avant le lever du soleil. Les missions se déroulaient dans le silence radio le plus complet et dans des conditions de sécurité absolue. Mais, en cas de guerre, ces mesures se révèlent moins nécessaires. Pour les pilotes d'U-2, ce fut un grand changement que de pouvoir garer leurs appareils à la vue de tout le monde, d'emprunter les pistes de roulage comme les autres avions, d'opérer en plein jour.


Derniers préparatifs avant une mission de reconnaissance

 

« Quand votre travail consiste à photographier un objectif, explique un pilote d'U-2, tout ce que vous avez à faire, c'est de prendre des clichés dudit objectif et de revenir à votre base. Il n'en va pas de même lorsque vous effectuez une mission d'écoute électronique, au cours de laquelle vous devez rester dans la zone concernée le plus longtemps possible. Les missions d'écoute des émissions de l'adversaire constituèrent un grand bouleversement pour les pilotes d'U-2. Le travail consistait à orbiter le plus longtemps possible au-dessus d'un secteur donné, et les heures paraissaient aussi longues que des jours entiers. Le pilote ne s'occupait pas de la manoeuvre des capteurs, qui étaient commandés automatiquement ou à distance. Il passait des heures et des heures dans les airs à s'ennuyer, sans savoir quoi faire. Ses seuls moments de distraction lui étaient fournis par l'écoute des communications provenant des avions d'attaque et des appareils de sauvetage. Cela lui permettait de se maintenir éveillé. Pendant les moments au cours desquels aucun raid ne survenait, il lui était difficile de ne pas s'endormir, surtout de nuit, quand il n'y avait rien à regarder à l'extérieur. Il n'était pas question de sortir la tête à l'extérieur pour prendre le frais. »

Parallèlement à l'évolution des missions de la photographie à l'écoute des émissions ennemies, le centre d'intérêt des Américains se déplaça du Viêt-nam du Nord vers la Chine. De plus en plus, les sorties des U-2 visèrent des objectifs situés sur le territoire chinois. Mais des missions de routine continuèrent à être accomplies au-dessus du Viêt-nam, notamment dans le cadre de l'opération Linebacker.

 

U-2R atterrissant sur le pont de l'USS America en 1969


Les premiers équipements d'écoute électronique consistaient en des récepteurs qui pouvaient balayer une ou deux fréquences et en des systèmes aux capacités limitées capables d'intercepter des émissions sur des bandes présélectionnées. Les inconvénients de ces systèmes étant évidents, des efforts importants furent entrepris pour les améliorer. Les U-2 bénéficièrent des progrès accomplis avec les drones, leurs principaux rivaux. Bientôt, ces appareils bénéficièrent d'équipements qui pouvaient être commandés à distance par des spécialistes installés dans des stations au sol ou dans des avions. Ce système permettait de sélectionner les émissions présentant un certain intérêt et de rechercher les émetteurs suspects, comme si les opérateurs se trouvaient à bord de l'U-2 lui-même. Les signaux étaient ensuite expédiés à grande distance par le truchement de satellites ou par d'autres moyens de communication.

Une mission qui durait environ six heures quand il s'agissait de prendre des photographies pouvait atteindre huit, dix et même douze heures pour le recueil de renseignements électroniques. Une fois que l'U-2 se trouvait au-dessus de la zone à surveiller, il se plaçait en orbite et attendait qu'un autre appareil vienne le relever. L'endurance des pilotes devint rapidement l'un des facteurs essentiels de la réussite d'une sortie. L'U-2R présentait l'avantage de disposer d'un système de réchauffage de la nourriture, ce qui facilitait quelque peu la vie du pilote à bord. Passer douze heures dans l'habitacle d'un U-2, avec une combinaison pressurisée, sans pouvoir changer de position, en subissant des températures élevées ou très basses, inspirer de l'oxygène et sentir son corps se déshydrater lentement était éprouvant. L'une des conséquences heureuses, si l'on peut dire, d'une telle situation était que le pilote ne risquait pas de s'endormir. Quand ils opéraient à basse altitude, les pilotes d'U-2 pouvaient revêtir une combinaison de vol normale.

L'U-2 était un avion d'une grande finesse aérodynamique, mais, comme tous les appareils affectés aux missions de reconnaissance électronique, il était surchargé de bossages, de nacelles et d'antennes. A la fin du conflit, ces appareils portaient une telle quantité d'antennes qu'ils ressemblaient plus à des hérissons qu'à des avions. Cette description pourrait s'appliquer aujourd'hui au TR-1, qui comporte des nacelles et des antennes en grand nombre.

 

Photographie d'une base aérienne Nord-Vietnamienne.


Missions spéciales

En Asie du Sud-Est, les U-2 accomplirent d'impressionnantes séries de missions. Pour le travail qu'il avait effectué au Viêt-nam au cours de l'année 1972, le 100th Strategic Reconnaissance reçut la coupe Paul T. Cullen, récompensant l'unité de reconnaissance du Strategic Air Command ayant enregistré les meilleurs résultats. Pendant la même période, cette formation fut reconnue comme la plus efficace de la 15th Air Force, ce qui lui valut la coupe John A. Desportes. En outre, elle fut félicitée à diverses reprises par les autorités présidentielles américaines et citée à l'ordre de l'Air Force. En janvier 1973, les U-2 accumulèrent plus de cinq cents heures au combat, ce qui constituait un record en la matière. Cette performance fut dépassée en décembre 1974, avec six cents heures, soit vingt heures par jour. Les U-2 furent retirés de Thaïlande en mars 1976 afin d'être répartis sur différentes bases de par le monde. Ces appareils s'étaient affirmés comme des plates-formes de reconnaissance d'une très grande efficacité et d'une rare fiabilité. Les qualités dont ils avaient fait preuve au Viêt-nam conduisirent à la mise au point d'une version profondément remaniée, le TR-1.

 

SR-71 surmonté d'un drone D-21 Oxcart


Habu

Les SR-71 furent engagés en Asie du Sud-Est de la même manière que les Boeing RC-135, en général à l'écart des zones de combat. Le Strategic Air Command alignait une unité entière de Blackbird, le 4252nd Strategic Wing, basé à Kadena (Okinawa), où stationnaient également des KC-135 et des RC-135. Cette base, qui avait été utilisée pendant plusieurs années par le Strategic Air Command, bénéficiait de certaines zones réservées. Celles-ci convinrent à merveille aux activités des RB-47 et des U-2, mais des mesures de sécurité encore plus contraignantes furent adoptées quand les RC-135 vinrent s'y installer. Le 9th Strategic Reconnaissance Wing basa un détachement à Okinawa, une île infestée par un serpent venimeux appelé habu. Ce nom fut repris par les équipages de SR-71, qui rebaptisèrent ainsi leurs avions.

Les SR-71 effectuèrent leurs opérations dans un secret encore plus grand que celui qui avait marqué les missions accomplies par les U-2. Les appareils étaient préservés des regards indiscrets le plus possible, et leur présence à Okinawa fut farouchement niée par les responsables de l'US Air Force. Ils attiraient une foule de curieux à chaque fois qu'ils prenaient l'air ou qu'ils atterrissaient, si bien que plusieurs photographies prises à Kadena parurent dans des magazines. Le Department of Defense n'en continua pas moins à soutenir qu'il n'y avait aucun SR-71 à Okinawa.

A l'instar des RC-135 pendant les premiers moments de la guerre, les SR-71 furent employés pour des missions de reconnaissance au-dessus de la Chine, de la Corée du Nord et de l'Union soviétique. Ils effectuèrent aussi des sorties sur le Viêt-nam du Nord, notamment lors de l'opération Linebacker.

 

Mise en place des appareils de prise de vue sur un U-2


Giant Scale

Une mission typique consistait à faire rouler l'appareil jusqu'au bout de la piste d'envol, en compagnie d'un véritable convoi de véhicules de soutien. Le personnel au sol se consacrait alors pendant de longs moments à achever la préparation de l'appareil et à passer en revue les check-lists. Tout cela avait lieu en plein jour et créait des embouteillages sur la piste en question. « Pour bien montrer qu'on était en train de préparer un Habu en vue d'une mission, raconte un pilote, un hélicoptère décollait et se mettait en vol stationnaire audessus de la piste. Il procédait de cette façon à chaque fois qu'un SR-71 prenait l'air ou se posait. Et les imbéciles de Washington continuaient à soutenir qu'il n'y avait aucun SR-71 à Kadena. »

Le SR-71 quittait ensuite le sol dans le vrombissement strident de ses réacteurs, qui pouvait être entendu à des kilomètres à la ronde. Une sortie normale durait environ trois heures et demie, avec un ravitaillement en vol. Croisant à 24 400 m à la vitesse de Mach 3, l'avion espion avait un rayon de giration de 260 à 290 km. La première passe permettait le survol de la Thaïlande, du Laos et du Viêt-nam du Nord, et se terminait par un rendez-vous avec une citerne volante KC-135Q au-dessus du golfe du Tonkin. Le processus pouvait être inversé, l'opération de ravitaillement ayant alors lieu au-dessus de la Thaïlande. Une fois cette manoeuvre effectuée, le Habu était expédié sur la Chine puis gagnait Kadena.

Les missions Giant Scale menées par les SR-71 étaient programmées et dirigées depuis Okinawa. Tous les vols étaient prévus pour se terminer à Kadena, mais ces appareils pouvaient utiliser en cas de besoin la base d'Udorn, en Thaïlande. A quelques reprises, des Blackbird furent contraints de se poser à Udorn, notamment à la suite d'un problème mécanique ou de carburant. La procédure qu'entraînait un déroutement sur Udorn était d'une très grande complexité. Les autorités répugnaient à y avoir recours, ce qui coûta la perte d'un avion, obligé d'atterrir à Kadena par un fort vent de travers avant un typhon. Tous ceux qui se trouvaient sur cette base enviaient les équipages de SR-71 quand un phénomène de ce genre était annoncé. Dans un tel cas, les autres avions et leurs équipages étaient expédiés au Japon, à Guam ou aux Philippines pour pouvoir poursuivre leurs missions. Ceux qui volaient à bord des Habu attendaient tranquillement que cesse le mauvais temps.

 

Les restes d'un U-2 abattu en Chine et toujours exposé à Bejing


Les SR-71 étaient parfaitement bien adaptés aux sorties de reconnaissance qu'ils accomplirent pendant la guerre du Viêt-nam, car ils pouvaient couvrir de larges zones en peu de temps. Ils étaient également bien équipés pour les missions d'espionnage électronique et de prises de vues radar ou infrarouges. Les appareils emportaient des systèmes compatibles avec toutes ces tâches, mais, lorsqu'ils effectuaient des sorties destinées à l'écoute des communications radio de l'adversaire, ils ne pouvaient pas demeurer assez longtemps au-dessus d'une zone donnée pour suivre une conversation jusqu'à son terme. Par contre, les U-2 étaient en mesure de survoler longtemps un secteur à surveiller, ce qui en fit les avions d'écoute des communications par excellence. Les défenses antiaériennes ennemies n'avaient en général pas le temps de tirer leurs missiles SA-2 sur de tels appareils, et tirer de tels engins sur un SR-71 était aussi inutile que de tenter d'intercepter un U-2 avec un MiG-21. Le SR-71 parcourait 50 km par minute, et le SA-2 avait une portée efficace de 50 km. Si les Nord-Vietnamiens avaient disposé d'un meilleur système de défense aérienne, ils auraient peut-être pu tenter de remplir le ciel de SA-2 en avant de la trajectoire suivie par un SR-71, et, là, ils auraient sans doute eu une chance de le toucher. Mais tel ne fut pas le cas.

Contrairement aux U-2, les SR-71 restèrent à Kadena, et ils furent engagés sur d'autres objectifs quand la guerre du Viêt-nam prit fin. Les deux appareils furent largement perfectionnés pendant l'engagement américain en Asie du Sud-Est, ce qui leur permit de poursuivre leur travail d'espionnage par la suite.

 

 

 

 

Francis Gary Powers (17 août 1929 – 1er août 1977) est un pilote américain recruté par la CIA durant la guerre froide afin de piloter un U-2, avion de reconnaissance, il avait le grade de capitaine dans l'United States Air Force.

Les "bip-bip" émis par Spoutnick 1 le 4 octobre 1957 résonnèrent comme autant de coups de tonnerre dans les états-majors américains. Si les soviétiques étaient capables de satelliser un petit émetteur, ils étaient donc en mesure d'envoyer des missiles à charge nucléaire sur les USA!
"Ike" autorisa donc de nouveaux survols de l'URSS, à contrecœur car il déclara plus tard: «J'aurais considéré une semblable violation de notre espace aérien par les soviétiques comme un acte de guerre. »

Sous la pression de la CIA, qui avait besoin d'informations sur une base de missiles soviétiques, "Ike" autorisa une dernière mission au-dessus du territoire soviétique, la plus longue des "Overflights". Le 1er mai 1960, Gary Powers, le plus expérimenté des pilotes de U-2, décolla de la base de Peshavar au Pakistan pour un vol qui devait le mener à Bodø, en Norvège: 6 100 km dont 4 700 au-dessus du territoire soviétique.

Le début de la mission se passa normalement, avec sa moisson de prises de vues, mais alors qu'il effectuait son virage au-dessus de Sverdlovsk, Powers remarqua une traînée de condensation qui suivait la même route que lui: un chasseur qui tentait de l'intercepter, mais qui de toute manière était bien trop bas pour constituer une menace réelle. Soudain, un bruit terrible retentit à l'arrière et l'appareil se mit en vrille inversée, le nez en l'air. Plutôt que d'utiliser son siège éjectable, Gary Powers attendit d'être à 10 000 m pour larguer sa verrière et sauta à 4500 m seulement car il avait des problèmes de branchement d'oxygène. Son parachute se déploya normalement et il fut fait prisonnier dès son arrivée à terre.

Pendant sa chute, il put voir un autre parachute: celui du pilote du MiG 21 qui le suivait. Les membres de la base antiaérienne avaient copieusement arrosé le 1er mai et, dans un état d'ébriété avancée, ils avaient, une fois reçu l'ordre d'abattre le U-2, tiré une salve entière de missiles sol-air SAM avec toutes les fusées de la base!

La perte de l'U-2 avait été suivie par les radars américains. On informa donc "Ike" qui, à quelques jours à peine du sommet de Paris, vit ses pires craintes se confirmer. Les américains déclarèrent la perte d'un avion météo qui devait rejoindre la Turquie. Rappelons qu'en tout état de cause, le U-2 n'appartenait pas à l'U.S. Air Force mais qu'il était considéré comme appareil civil.

Le 5 mai, Khrouchtchev annonça qu'un U-2 avait été abattu par la défense soviétique. Les américains crurent pouvoir admettre qu'un de leurs appareils d'études météorologiques avait pu franchir la frontière inopinément, croyant que l'appareil et le pilote avaient été complètement détruits sans laisser de traces. Les soviétiques lâchèrent alors leur bombe médiatique: ils annoncèrent la capture de Powers. Difficile alors de dissimuler la mission de l'appareil, les caméras ayant été récupérées dans l'épave.

C'est un Khrouchtchev furieux qui annonça la nouvelle, accusant les américains de saboter le sommet de Paris, exigeant l'arrêt des "overflights" et des excuses publiques de la part du Président Eisenhower. Malgré son profond embarras, "Ike" ne put présenter d'excuses faute de quoi il aurait perdu la face. Bien entendu, le sommet de Paris fut un fiasco complet.

Gary Powers passa devant des tribunaux soviétiques pour espionnage et fut condamné à dix ans de "privation de liberté". En fait, il fut échangé 17 mois plus tard contre un espion soviétique arrêté à New York en 1957, Rudolf Abel. Son retour au bercail ne fut pas la fin de ses tracas, car des accusations diverses s'élevèrent contre lui aux Etats-Unis.

En fait, diverses versions de l'incident circulèrent. Américains et Soviétiques s'entendirent pour affirmer que le U-2 avait été touché de plein fouet par des missiles sol-air SA-2 à une altitude de 20 000 m. D'autres versions furent avancées, affirmant que les soviétiques étaient bien incapables de produire des missiles antiaériens aussi perfectionnés (ce qui était pourtant le cas). Dans ses mémoires non exemptes d'amertume, Powers laissa entendre qu'il était en mesure de donner d'autres explications.

Son U-2 B 56-6689 avait la réputation d'un avion à problèmes. Il avait déjà causé du tracas en septembre 1959 : son pilote avait dû effectuer un atterrissage forcé sur la base de Fusigawa (Japon) et l'appareil s'était enlisé de deux bons mètres dans la boue. Notons au passage que la présence d'un appareil tout noir, sans aucune marque, enfreignant donc toutes les lois internationales, n'avait pas manqué de choquer les observateurs japonais. C'est donc cet appareil réparé qui se fit abattre par un missile SAM. L'interception se fit à 20 000 m, ce qui démontrait que les missiles sol-air soviétiques étaient au point, mais le modèle B du U-2 avait un plafond de 27 000 m. Powers a donc vraisemblablement eu des ennuis qui l'ont obligé à perdre de l'altitude, devenant une cible possible pour les SA-2.

Beaucoup de monde au sein du monde de l'espionnage et de l'USAF (en particulier Hover) lui en ont voulu de s'être éjecté au lieu de s'injecter une capsule de cyanure. Car avec sa capture, les Soviétiques avaient un moyen de pression contre les États-Unis qui permit la libération de Rudolph Abel, lequel ne révéla jamais rien aux services de contre-espionnage américains.

Il travailla ensuite comme pilote d'essai pour Lockheed Corporation de 1963 à 1970

Mort dans un accident d'hélicoptère qu'il pilotait pour une chaîne de télévision à Los Angeles en 1977, il fut enterré au cimetière national d'Arlington.

Ce n'est qu'en 1987, dix ans après sa mort et 25 ans après son retour, que lui fut décernée la Distinguished Flying Cross.

http://fr.wikipedia.org/wiki/Francis_Gary_Powers
http://aerostories.free.fr/powers/

 

Nikita Kroutchev examinant les restes du U-2 abattu.


Sources :

Avions de guerre numéro 69; le combat aérien aujourd'hui : Editions Atlas 1988

 

 

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