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AU-DESSUS DU NORD VIETNAM
Le facteur aérien fut d'une importance déterminante dans la guerre du Viêt-nam, et les avions américains accomplirent les missions les plus diverses lors de ce conflit. Évoluant à des altitudes où ils pouvaient opérer en toute impunité, les SR-71 et les U-2 de l'US Air Force jouèrent un rôle essentiel, en renseignant les plus hautes autorités sur les activités des Nord-Vietnamiens et des Chinois. Lorsqu'un Lockheed U-2 travaillant pour le compte de la CIA fut abattu
par un missile sol-air au-dessus du territoire soviétique,
en 1960, le président Eisenhower promit que plus aucun avion
de ce type ne survolerait désormais l'Union soviétique.
Deux mois plus tard, un Boeing RB-47H du 55th
Strategic Reconnaissance Wing fut descendu à son tour
dans des circonstances pratiquement identiques. Les autorités
du Kremlin l'ayant accusé d'avoir manqué à sa
parole, le président des États-Unis réitéra
alors sa promesse, ce qui mit fin pendant un temps aux activités
de reconnaissance américaine. Ne pouvant rester longtemps dans
l'ignorance de ce que faisaient les Soviétiques, les Américains
reprirent leurs vols d'espionnage moins de un mois plus tard, mais
en employant des méthodes fondamentalement différentes
des précédentes. Les survols de la Chine communiste
furent confiés aux pilotes de la force aérienne taïwanaise,
et l'emploi de la flotte de Lockheed U-2, affectée à
des sorties de reconnaissance météorologique et à
diverses autres tâches secondaires, fut réservé
aux périodes de crise aiguë ou de guerre. Les premiers
U-2 avaient, été produits pour la CIA, les services
de renseignement américains ayant pris en compte des appareils
de ce type un an avant que l'US Air Force n'eût réceptionné
les siens, en juin 1957. Les U-2 de la CIA reçurent une livrée
noire, tandis que ceux de l'USAF furent peints tout d'abord en argent
puis en gris. L'Air Force employa ces appareils pour des missions
de recueil de renseignements classiques, et la CIA les engagea dans
des sorties d'espionnage à haute altitude. Rapidement, dans
tous les centres de renseignement américains répartis
dans le monde, l'U-2 fut surnommé Useless Deuce.
Opérant à des altitudes et dans des conditions que
personne n'aurait osé imaginer quelques années auparavant,
les U-2 de PUSAF étaient manoeuvrés par l'élite
des pilotes de cette force aérienne. Ces hommes à part,
fiers du matériel qu'ils utilisaient, rongèrent leur
frein pendant toute la période au cours de laquelle les U-2
furent cantonnés dans ce qu'ils considéraient comme
des tâches subalternes. Si les appareils n'étaient pas
utilisés rapidement, le moral des hommes déclinerait
certainement, et la discipline s'en ressentirait; en outre, les États-Unis
se devaient de reprendre leurs activités de renseignement s'ils
souhaitaient conserver de bonnes relations avec les pays amis. Un
dessin animé connut alors une certaine vogue parmi les pilotes
d'U-2. Il représentait deux vautours perchés sur un
cactus, attendant qu'un prospecteur assez fou pour le faire traverse
le désert. L'un des deux rapaces, prêt à s'envoler
de son perchoir, disait à l'autre : « Patience. J'arriverai
bien à tuer quelque chose. » La crise de Cuba, qui survint en 1962, fut l'occasion que les pilotes
d'U-2 attendaient depuis longtemps; La situation se détériorant
chaque jour, les avions espions de l'US Air Force furent chargés
d'assurer une étroite surveillance de l'île. Cet engagement
devint de plus en plus important, les pilotes américains menant,
au plus fort de la crise, cinq ou six missions quotidiennes au-dessus
du territoire ennemi. Le travail qu'ils accomplirent fut impressionnant,
et le moral remonta. Pourtant, le prix à payer fut élevé.
Le 4080th Strategic Reconnaissance Wing perdit trois pilotes et quatre
avions au cours de l'affaire cubaine. Quand les choses revinrent à
la normale, les U-2 n'effectuèrent plus qu'une seule mission
par jour, en compagnie d'un RB-47H. De telles sorties devinrent aussi
routinières que celles auxquelles avait été cantonnée
la flotte d'U-2 avant les événements de Cuba. Le temps où les pilotes américains pouvaient craindre qu'un missile SA-2 ou qu'un MiG-21 surgisse brusquement et les expédient au sol était passé. Les équipages américains d'U-2 et de RB-47H attribuèrent par dérision à de telles sorties l'appellation officieuse de Lost Cause (« cause perdue »), alors qu'elles étaient dénommées officiellement Common Cause (« cause commune »).
Dragon Lady part en guerre Le moral des pilotes de Lockheed U-2, qui avait été
affecté jusqu'alors par l'aspect répétitif des
missions et par une proportion d'accidents élevée, s'améliora
nettement quand ces appareils furent engagés en Asie du Sud-Est.
Les Dragon Lady partaient en guerre pour de bon. Équipés
pour la reconnaissance photographique et l'espionnage électronique,
les U-2 abandonnèrent les sorties fastidieuses du temps de
paix. Par ailleurs, les pilotes apprécièrent le fait
que leurs U-2A eussent été mis aux standards U-2C, par
l'adoption du réacteur Pratt & Whitney J75-P-13, à
la poussée plus importante, et par la mise en place de nouveaux
systèmes. Les U-2 n'étaient plus désormais limités
par des problèmes de puissance, et ils furent en mesure d'emporter
des capteurs de plus en plus nombreux et sophistiqués. Basé à Davis-Monthan AFB depuis moins de un an, le 4080th Strategic Reconnaissance Wing reçut l'ordre de gagner le Viêt-nam avec ses U-2 et ses Lockheed DC-130 de guidage de drones. Cette unité s'installa alors à Biên Hoa, les U-2, intégrés dans l'Operation Location (OL) 20, étant baptisés du nom de Lucky Dragon et les DC-130 de celui de Blue Spring.
Les premiers de ces appareils furent immédiatement employés pour la mission en vue de laquelle ils avaient été conçus : la photographie à haute altitude. Ils furent engagés au-dessus des zones de combat pour rapporter le plus grand nombre possible de clichés, avec des récepteurs électroniques qui avertissaient les pilotes que leur appareil était pris dans le faisceau du radar d'un missile SA-2 ou d'un MiG-21. De temps à autre, ils emportèrent des capteurs préréglés au sol mais dont la fréquence pouvait être modifiée soit par le pilote, soit par une station au sol. Les missiles sol-air SA-2, qui avaient prélevé un lourd tribut sur les U-2 au-dessus de Cuba et de la Chine, représentaient la menace que craignaient le plus les pilotes américains. La prolifération de ces engins et l'efficacité de plus en plus grande dont faisaient preuve les drones Ryan AQM-34 incitèrent les responsables de l'US Air Force à réduire le nombre de sorties confiées aux U-2. Au cours d'une mission pendant laquelle il travaillait en coopération avec un drone, en se maintenant hors de portée des sites de missiles solair ennemis, le pilote d'un U-2 assista à la destruction de l'engin guidé. La façon dont il rendit compte de l'impressionnante efficacité du SA-2 convainquit les autorités locales de modifier la nature des tâches confiées aux U-2. Ces avions furent utilisés de plus en plus pour la collecte de renseignements électroniques, mais ils accomplirent de temps en temps des missions photographiques. Les drones et les Lockheed SR-71 convenant mieux à ces dernières, les U-2 furent bientôt entièrement affectés à la surveillance des émissions radio et électromagnétiques de l'adversaire. Plusieurs versions spécialisées dans cette tâche firent leur apparition, la plus inhabituelle étant celle consistant en un U-2F équipé de deux antennes fixées sur l'arrière du fuselage et ressemblant à la ramure d'un cerf. Deux de ces avions (56-6680 et 56-6707) furent utilisés à partir de 1964.
Transformations profondes L'engagement des U-2 au Viêt-nam, connu dans un premier temps
sous l'appellation d'opération Lucky Dragon, reçut ensuite
le nom de Trojan Horse puis ceux d'Olympic Torch, de Senior Book et
de Giant Dragon. Les missions confiées aux U-2 avaient subi
de profondes transformations depuis que ces appareils étaient
arrivés en Asie du Sud-Est, et elles devaient évoluer
encore avant qu'ils ne quittent le Viêt-nam du Sud. Le 4080th
Strategic Reconnaissance Wing prit la désignation de
100th Strategic Reconnaissance Wing le
11 février 1966, et l'unité équipée d'U-2
devint le 349th Strategic Reconnaissance Squadron.
Le 11 juillet 1970, ces appareils quittèrent Biên Hoa
et gagnèrent U-Tapao, en Thailande. L'OL 20 fut alors rebaptisée
99th Strategic Reconnaissance Squadron. Le changement le plus significatif
était cependant l'arrivée d'U-2R. Les limites en matière de poussée qui avaient caractérisé l'U-2A avaient pu être dépassées par l'adoption du réacteur J75, qui permit de réaliser la version U-2C. Mais l'U-2R affichait des capacités encore plus importantes, notamment dans les domaines de la charge offensive, de la distance franchissable et de la sécurité. Avec ses 7,01 m d'envergure supplémentaires, l'appareil avait une surface alaire supérieure de 37,16 m2 à celle de l'U-2C et un meilleur rapport traînée/portance. Il pouvait emporter beaucoup plus de capteurs et disposait de commandes de vol avancées. Ces améliorations permirent de diminuer le taux d'attrition par accident, particulièrement à basse altitude. Ayant effectué son vol initial en août 1967, l'U-2R entra en service à la fin de l'année 1968.
Le 4080th Strategic Reconnaissance Wing réceptionna ses U-2R avec une livrée gris et argent, si bien que les pilotes se plaignirent très vite d'être trop facilement repérés par l'ennemi, aussi bien en l'air que depuis le sol. Ils parvinrent alors à convaincre les autorités qu'il convenait de peindre les appareils en noir. Pendant l'automne de 1964, un certain Major Smart avait constitué un stock de peinture de cette couleur au Viêt-nam. Les équipes au sol d'Andersen AFB ayant refusé de se livrer à l'opération, les responsables du 4080th Strategic Reconnaissance Wing durent faire avec ce qu'ils avaient. L'improvisation étant de règle dans les unités chargées des missions spéciales, les pilotes de cette formation trouvèrent le matériel nécessaire, obtinrent un hangar, effectuèrent le travail eux-mêmes puis convoyèrent leurs U-2 jusqu'à Biên Hoa.
Nouvelle livrée Un pilote d'U-2 rapporte l'histoire suivante à propos des
livrées de cet appareil : « J'ai observé des U-2
et des SR-71, aussi bien au sol qu'en l'air, et je puis vous assurer
qu'ils étaient pratiquement indécelables avec la livrée
grise que l'US Air Force a adopté, et ce quel que soit le temps.
Par contre, un avion peint en noir est beaucoup plus visible. Le problème
de la détection visuelle doit cependant être ignoré
dans ce cas. Un appareil arborant une livrée noire est sinistre
et s'identifie à quelque chose de mystérieux. Aucun
avion espion ne pourrait être peint autrement qu'en noir. Cette
peinture contient de petites particules métalliques qui absorbent
les ondes radar et qui augmentent le poids de l'appareil d'une vingtaine
de kilos, mais elle ne lui permet pas de passer inaperçu -
sauf si vous volez par une nuit sans lune avec vos feux éteints.
Je soutiens que l'adoption de cette livrée résulte uniquement
d'un besoin de se singulariser de la part des pilotes. La meilleure
preuve en est fournie par l'histoire suivante. Lors d'un meeting en
Grande-Bretagne, nous présentions quelques U-2. Un SR-71 et
deux U-2 peints en noir étaient groupés avec un U-2C
à la livrée grise opérant depuis le territoire
britannique (les autorités britanniques avaient refusé
que des U-2 de cette couleur soient basés au Royaume-Uni).
A plusieurs reprises, je vis des gens se diriger vers l'U-2 gris et
demander de quel avion il s'agissait. » Au départ, les U-2 furent déployés à l'extérieur des États-Unis dans le plus grand secret. Les avions étaient en partie démontés, embarqués sur des cargos et déchargés pendant la nuit, à l'abri des regards indiscrets. Ils étaient ensuite entreposés dans des hangars situés à l'écart des installations normales et prenaient l'air en général avant le lever du soleil. Les missions se déroulaient dans le silence radio le plus complet et dans des conditions de sécurité absolue. Mais, en cas de guerre, ces mesures se révèlent moins nécessaires. Pour les pilotes d'U-2, ce fut un grand changement que de pouvoir garer leurs appareils à la vue de tout le monde, d'emprunter les pistes de roulage comme les autres avions, d'opérer en plein jour.
« Quand votre travail consiste à photographier un objectif,
explique un pilote d'U-2, tout ce que vous avez à faire, c'est
de prendre des clichés dudit objectif et de revenir à
votre base. Il n'en va pas de même lorsque vous effectuez une
mission d'écoute électronique, au cours de laquelle
vous devez rester dans la zone concernée le plus longtemps
possible. Les missions d'écoute des émissions de l'adversaire
constituèrent un grand bouleversement pour les pilotes d'U-2.
Le travail consistait à orbiter le plus longtemps possible
au-dessus d'un secteur donné, et les heures paraissaient aussi
longues que des jours entiers. Le pilote ne s'occupait pas de la manoeuvre
des capteurs, qui étaient commandés automatiquement
ou à distance. Il passait des heures et des heures dans les
airs à s'ennuyer, sans savoir quoi faire. Ses seuls moments
de distraction lui étaient fournis par l'écoute des
communications provenant des avions d'attaque et des appareils de
sauvetage. Cela lui permettait de se maintenir éveillé.
Pendant les moments au cours desquels aucun raid ne survenait, il
lui était difficile de ne pas s'endormir, surtout de nuit,
quand il n'y avait rien à regarder à l'extérieur.
Il n'était pas question de sortir la tête à l'extérieur
pour prendre le frais. » Parallèlement à l'évolution des missions de la photographie à l'écoute des émissions ennemies, le centre d'intérêt des Américains se déplaça du Viêt-nam du Nord vers la Chine. De plus en plus, les sorties des U-2 visèrent des objectifs situés sur le territoire chinois. Mais des missions de routine continuèrent à être accomplies au-dessus du Viêt-nam, notamment dans le cadre de l'opération Linebacker.
Les premiers équipements d'écoute électronique
consistaient en des récepteurs qui pouvaient balayer une ou
deux fréquences et en des systèmes aux capacités
limitées capables d'intercepter des émissions sur des
bandes présélectionnées. Les inconvénients
de ces systèmes étant évidents, des efforts importants
furent entrepris pour les améliorer. Les U-2 bénéficièrent
des progrès accomplis avec les drones, leurs principaux rivaux.
Bientôt, ces appareils bénéficièrent d'équipements
qui pouvaient être commandés à distance par des
spécialistes installés dans des stations au sol ou dans
des avions. Ce système permettait de sélectionner les
émissions présentant un certain intérêt
et de rechercher les émetteurs suspects, comme si les opérateurs
se trouvaient à bord de l'U-2 lui-même. Les signaux étaient
ensuite expédiés à grande distance par le truchement
de satellites ou par d'autres moyens de communication. Une mission qui durait environ six heures quand il s'agissait de
prendre des photographies pouvait atteindre huit, dix et même
douze heures pour le recueil de renseignements électroniques.
Une fois que l'U-2 se trouvait au-dessus de la zone à surveiller,
il se plaçait en orbite et attendait qu'un autre appareil vienne
le relever. L'endurance des pilotes devint rapidement l'un des facteurs
essentiels de la réussite d'une sortie. L'U-2R présentait
l'avantage de disposer d'un système de réchauffage de
la nourriture, ce qui facilitait quelque peu la vie du pilote à
bord. Passer douze heures dans l'habitacle d'un U-2, avec une combinaison
pressurisée, sans pouvoir changer de position, en subissant
des températures élevées ou très basses,
inspirer de l'oxygène et sentir son corps se déshydrater
lentement était éprouvant. L'une des conséquences
heureuses, si l'on peut dire, d'une telle situation était que
le pilote ne risquait pas de s'endormir. Quand ils opéraient
à basse altitude, les pilotes d'U-2 pouvaient revêtir
une combinaison de vol normale. L'U-2 était un avion d'une grande finesse aérodynamique, mais, comme tous les appareils affectés aux missions de reconnaissance électronique, il était surchargé de bossages, de nacelles et d'antennes. A la fin du conflit, ces appareils portaient une telle quantité d'antennes qu'ils ressemblaient plus à des hérissons qu'à des avions. Cette description pourrait s'appliquer aujourd'hui au TR-1, qui comporte des nacelles et des antennes en grand nombre.
Missions spéciales En Asie du Sud-Est, les U-2 accomplirent d'impressionnantes séries de missions. Pour le travail qu'il avait effectué au Viêt-nam au cours de l'année 1972, le 100th Strategic Reconnaissance reçut la coupe Paul T. Cullen, récompensant l'unité de reconnaissance du Strategic Air Command ayant enregistré les meilleurs résultats. Pendant la même période, cette formation fut reconnue comme la plus efficace de la 15th Air Force, ce qui lui valut la coupe John A. Desportes. En outre, elle fut félicitée à diverses reprises par les autorités présidentielles américaines et citée à l'ordre de l'Air Force. En janvier 1973, les U-2 accumulèrent plus de cinq cents heures au combat, ce qui constituait un record en la matière. Cette performance fut dépassée en décembre 1974, avec six cents heures, soit vingt heures par jour. Les U-2 furent retirés de Thaïlande en mars 1976 afin d'être répartis sur différentes bases de par le monde. Ces appareils s'étaient affirmés comme des plates-formes de reconnaissance d'une très grande efficacité et d'une rare fiabilité. Les qualités dont ils avaient fait preuve au Viêt-nam conduisirent à la mise au point d'une version profondément remaniée, le TR-1.
Habu Les SR-71 furent engagés en Asie du Sud-Est de la même
manière que les Boeing RC-135, en général à
l'écart des zones de combat. Le Strategic Air Command alignait
une unité entière de Blackbird, le 4252nd
Strategic Wing, basé à Kadena (Okinawa), où
stationnaient également des KC-135 et des RC-135. Cette base,
qui avait été utilisée pendant plusieurs années
par le Strategic Air Command, bénéficiait de certaines
zones réservées. Celles-ci convinrent à merveille
aux activités des RB-47 et des U-2, mais des mesures de sécurité
encore plus contraignantes furent adoptées quand les RC-135
vinrent s'y installer. Le 9th Strategic Reconnaissance
Wing basa un détachement à Okinawa, une île
infestée par un serpent venimeux appelé habu. Ce nom
fut repris par les équipages de SR-71, qui rebaptisèrent
ainsi leurs avions. A l'instar des RC-135 pendant les premiers moments de la guerre, les SR-71 furent employés pour des missions de reconnaissance au-dessus de la Chine, de la Corée du Nord et de l'Union soviétique. Ils effectuèrent aussi des sorties sur le Viêt-nam du Nord, notamment lors de l'opération Linebacker.
Giant Scale Une mission typique consistait à faire rouler l'appareil jusqu'au
bout de la piste d'envol, en compagnie d'un véritable convoi
de véhicules de soutien. Le personnel au sol se consacrait
alors pendant de longs moments à achever la préparation
de l'appareil et à passer en revue les check-lists. Tout cela
avait lieu en plein jour et créait des embouteillages sur la
piste en question. « Pour bien montrer qu'on était en
train de préparer un Habu en vue d'une mission, raconte un
pilote, un hélicoptère décollait et se mettait
en vol stationnaire audessus de la piste. Il procédait de cette
façon à chaque fois qu'un SR-71 prenait l'air ou se
posait. Et les imbéciles de Washington continuaient à
soutenir qu'il n'y avait aucun SR-71 à Kadena. » Le SR-71 quittait ensuite le sol dans le vrombissement strident de
ses réacteurs, qui pouvait être entendu à des
kilomètres à la ronde. Une sortie normale durait environ
trois heures et demie, avec un ravitaillement en vol. Croisant à
24 400 m à la vitesse de Mach 3, l'avion espion avait un rayon
de giration de 260 à 290 km. La première passe permettait
le survol de la Thaïlande, du Laos et du Viêt-nam du Nord,
et se terminait par un rendez-vous avec une citerne volante KC-135Q
au-dessus du golfe du Tonkin. Le processus pouvait être inversé,
l'opération de ravitaillement ayant alors lieu au-dessus de
la Thaïlande. Une fois cette manoeuvre effectuée, le Habu
était expédié sur la Chine puis gagnait Kadena. Les missions Giant Scale menées par les SR-71 étaient programmées et dirigées depuis Okinawa. Tous les vols étaient prévus pour se terminer à Kadena, mais ces appareils pouvaient utiliser en cas de besoin la base d'Udorn, en Thaïlande. A quelques reprises, des Blackbird furent contraints de se poser à Udorn, notamment à la suite d'un problème mécanique ou de carburant. La procédure qu'entraînait un déroutement sur Udorn était d'une très grande complexité. Les autorités répugnaient à y avoir recours, ce qui coûta la perte d'un avion, obligé d'atterrir à Kadena par un fort vent de travers avant un typhon. Tous ceux qui se trouvaient sur cette base enviaient les équipages de SR-71 quand un phénomène de ce genre était annoncé. Dans un tel cas, les autres avions et leurs équipages étaient expédiés au Japon, à Guam ou aux Philippines pour pouvoir poursuivre leurs missions. Ceux qui volaient à bord des Habu attendaient tranquillement que cesse le mauvais temps.
Les SR-71 étaient parfaitement bien adaptés aux sorties
de reconnaissance qu'ils accomplirent pendant la guerre du Viêt-nam,
car ils pouvaient couvrir de larges zones en peu de temps. Ils étaient
également bien équipés pour les missions d'espionnage
électronique et de prises de vues radar ou infrarouges. Les
appareils emportaient des systèmes compatibles avec toutes
ces tâches, mais, lorsqu'ils effectuaient des sorties destinées
à l'écoute des communications radio de l'adversaire,
ils ne pouvaient pas demeurer assez longtemps au-dessus d'une zone
donnée pour suivre une conversation jusqu'à son terme.
Par contre, les U-2 étaient en mesure de survoler longtemps
un secteur à surveiller, ce qui en fit les avions d'écoute
des communications par excellence. Les défenses antiaériennes
ennemies n'avaient en général pas le temps de tirer
leurs missiles SA-2 sur de tels appareils, et tirer de tels engins
sur un SR-71 était aussi inutile que de tenter d'intercepter
un U-2 avec un MiG-21. Le SR-71 parcourait 50 km par minute, et le
SA-2 avait une portée efficace de 50 km. Si les Nord-Vietnamiens
avaient disposé d'un meilleur système de défense
aérienne, ils auraient peut-être pu tenter de remplir
le ciel de SA-2 en avant de la trajectoire suivie par un SR-71, et,
là, ils auraient sans doute eu une chance de le toucher. Mais
tel ne fut pas le cas. Contrairement aux U-2, les SR-71 restèrent à Kadena, et ils furent engagés sur d'autres objectifs quand la guerre du Viêt-nam prit fin. Les deux appareils furent largement perfectionnés pendant l'engagement américain en Asie du Sud-Est, ce qui leur permit de poursuivre leur travail d'espionnage par la suite.
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Sources :
Avions de guerre numéro 69; le combat aérien aujourd'hui : Editions Atlas 1988
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