VIETNAM - LINEBAKER ciel de gloire - histoire des as de l\'aviation de 1914 à nos jours



 


 

 



LINEBACKER

 


Conçu comme bombardier stratégique, le Boeing B-52 effectua surtout desmissions tactiques au Viêt-nam. Il acquit cependant une grande réputationde fiabilité et de précision quand il put opérer à partir de bases assezproches de ses objectifs.

Le Boeing B-52, premier bombardier stratégique non équipé des traditionnels moteurs à piston, fut mis à l'étude dans l'immédiat après-guerre. Le B-47 à voilure en flèche était bien doté de réacteurs, mais cet appareil ne pouvait pas, à l'époque, effectuer les missions intercontinentales réclamées par le Stategic Air Command (SAC) de l'US Air Force. Pendant plusieurs années, les techniciens envisagèrent de munir le B-52 de turbopropulseurs, car c'était alors le seul moyen de lui conférer le rayon d'action nécessaire pour de telles missions. Ce n'est qu'en 1948 qu'il apparut possible de satisfaire àux conditions demandées avec des réacteurs ; le B-52 prit alors l'aspect qu'on lui connaît aujourd'hui, utilisant huit turboréacteurs (à cette date, encore à l'étude) dans quatre nacelles doubles montées sous voilure.

 


Bien que la guerre du Viêt-nam revêtît des formes très éloignées du type de guerre pour lequel ils avaient été conçus, ces grands bombardiers étaient capables d'exercer de tels ravages qu'ils furent utilisés dès le début de l'intervention massive des forces armées américaines en Asie du Sud-Est, en février 1965. Le 17 de ce mois, une partie des hommes et des appareils de deux Bomb Wings, le 2nd, de Barksdale, et le 320th, de Mather, furent expédiés sur la base d'Andersen, dans l'île de Guam (Mariannes). Guam est une petite île sur laquelle furent installés pas moins de cinq aérodromes. Aujourd'hui, l'un de ces aérodromes, Andersen, éclipse par sa taille tous les autres. Son expansion spectaculaire lui a permis d'abriter la plus importante panoplie d'avions à réaction militaires géants jamais rassemblée en un seul et même endroit. Dans la seconde quinzaine de février 1965, près de dix mille personnes arrivèrent à Andersen. Après son extension, la base constitua un gigantesque quadrilatère comprenant deux pistes d'envol, longues chacune de 3200 m, une piste de roulage menant au centre du terrain et plusieurs dizaines d'aires de stationnement à moitié clôturées sur les côtés. Elle allait permettre aux B-52 d'effectuer, comme le souhaitait le général Westmoreland, le commandant en chef des forces américaines, des bombardements de saturation des bases tenues par le Viêt-cong.

 


Quand, en février 1965, les B-52F des 2nd et 320th Bomb Wings arrivèrent à Guam, ils portaient encore la livrée adaptée aux missions de transport de bombes nucléaires, missions auxquelles les avait initialement destinés le Strategic Air Command de l'US Air Force; leurs surfaces inférieures étaient revêtues d'une couche de peinture blanche antireflets. Pour leur permettre de transporter un plus grand nombre de bombes, des râteliers externes supplémentaires furent installés entre les moteurs intérieurs et le fuselage, tout comme les points d'attache servant, sur d'autres modèles, au transport de missiles Hound Dog ou SRAM. A ces râteliers étaient suspendues de longues poutres en aluminium auxquelles pouvaient être attachés quatre ensembles de trois bombes. Le nombre total de bombes de 340 kg que pouvait emporter l'appareil passa ainsi de 27 à 51, soit un poids réel de 19 085 kg. La charge offensive obtenue grâce à ces perfectionnements était de très loin supérieure à celle prévue dans les plans d'origine avec des armes nucléaires ou d'autres engins. Guam était si éloigné du théâtre d'opérations - l'aller et retour, environ 9 000 km, demandait entre douze et quinze heures de vol - que les B-52 quittaient pratiquement toujours l'île avec leurs réservoirs pleina ; ils avaient ensuite rendezvous au-dessus de l'océan Pacifique avec des avions ravitailleurs KC-135 opérant à partir d'Okinawa.

 


Au début, les missions Arc Light furent pour le moins décevantes. La première d'entre elles fut effectuée par trente B-52F le 18 juin 1965 : lors du rendez-vous avec les avions ravitailleurs, deux bombardiers entrèrent en collision, prirent feu et se disloquèrent dans l'air, huit des douze hommes constituant les équipages périrent dans l'accident (Cpt Robert Laurence Armond, 1Lt James Alfred Marshall, Cpt Frank Peter Watson, M/Sgt Harold James Robert, TSgt William Edward Neville, Cpt Tyrrell Gordon Lowry, Cpt Joe Carrol Robertson, Maj James Monroe Gehrig) ; seulement ving-six avions bombardèrent l'objectif, et des missions de reconnaissance ultérieures établirent que les bases viêt-cong (ou supposées telles) de la province de Binh Duong n'avaient pratiquement pas souffert des bombes. Celles-ci s'étaient abattues sur une vaste région de forêts et de broussailles où aucune cible n'était appart distinctement, et les moyens d'information américains portèrent un jugement plus que mitigé sur l'opération tout entière. Mais n'était là qu'un coup d'essai ; progressivment, les techniques furent perfectionnées. Le 15 novembre 1965, les B-52 effectuèrent pour la première fois une mission d'appui tactique rapproché quand dix-huit d'entre eux pilonnèrent la région occupée par une partie des forces nord-vietnamiennes engagées contre la lst Air Cavalry Division américaine dans la vallée d'Ia Drang, près de frontière cambodgienne. Le 12 décembre, un général des Marines observa à partir d'un hélicoptère une attaque de B-52 contre des forces ennemies qui encerclaient la 3rd Marine Amphibious Force ; il devait écrire dans son rapport : « Le minutage de l'opération fut exactement respecté, le bombardemet précis, et les effets globaux terrifiants à voir. » Peu à peu, grâce au petit nombre de transfuges qui, à un rythme régulie fuyaient les zones contrôlées par la guéril viêt-cong, les Américains finirent par apprendre que les B-52 ne se bornaient pas arroser d'engins explosifs des forêts inhabitées, mais qu'ils provoquaient aussi de terribles ravages. Les forces viêt-cong et nord vietnamiennes redoutèrent bientôt les B-52 plus que toute autre arme américaine. Elles n'avaient aucun moyen de prévoir une attaque. En avril 1966, deux autres unités arrivèrent à Andersen pour remplacer celles qui avaient accompli leur tour d'opérations, qui, normalement, durait six mois. Ces unités, les 28th et 48th Bomb Wings, étaient équipées de B-52D, avions encore plus anciens que les B-52F. Contre toute attente, les B-52 n'étaient pas retirés du service, mais subissaient d'urgence les transformations qui leur permettaient de bénéficier d'une charge offensive considérablement accrue. En fait, le fuselage de l'appareil ne fut pas élargi, mais seulement agencé pour contenir un plus grand nombre de bombes. Tous les B-52D en service opérationnel furent modifiés à l'usine Boeing de Wichita entre 1965 et 1967.

 

 


En 1967, Andersen pouvait être considérée comme la base aérienne la plus active au monde. Elle ne cessait de s'étendre, et en 1972, pas moins de deux cents B-52 y étaient stationnés. En dépit de travaux ininterrompus, l'aérodrome ne comportait à cette date que 170 aires de stationnement, de telle sorte qu'à toute heure de la journée au moins trente bombardiers devaient être dans les airs. Les équipes au sol travaillaient six jours par semaine, en se relayant toutes les dix heures, et le banc d'essai pour les moteurs J57 en réparation fonctionnait sans discontinuer. Andersen était une machine bien huilée ; seul l'état des pistes d'envol suscitait parfois certaines inquiétudes. Humide et couverte d'algues microscopiques, leur surface offrait une adhérence quasi nulle.

A ces problèmes s'ajoutait celui, fondamental, de la durée des missions effectuées à partir de Guam. Celles-ci, d'une durée rarement inférieure à douze heures, prenaient en moyenne quatorze heures (au moins l'une d'entre elles dura 18 heures). De nombreux équipages étaient tenus de voler plusieurs jours d'affilée ; les B-52 effectuèrent chaque nuit les mêmes trajets, au-dessus des mêmes dispositifs de défense antiaérienne ennemis, lesquels, avec l'habitude, gagnèrent en efficacité. Et à partir de septembre 1967, la crainte des missiles sol-air s'ajouta aux diverses terreurs éprouvées au-dessus des objectifs. A cette date, l'équipage d'un B-52D comportait un officier spécialisé dans les techniques de guerre électronique et disposant d'un certain nombre de dispositifs défensifs, notamment de récepteurs passifs à même d'indiquer quand l'avion était pris dans les faisceaux des radars ennemis. Dans les années qui suivirent, les grands bombardiers allaient être équipés d'un matériel beaucoup plus sophistiqué et d'une plus grande fiabilité.

 


Les bombardements de précision

Les bombardiers furent parfois favorisés par les circonstances. Pendant la première année, de guerre, l'un des pires problèmes fut celui suscité par l'absence de repères au sol distincts ou d'objectifs fixes. Le plus souvent, l'objectif était une certaine portion de territoire ; les bombardiers larguaient alors leurs bombes sur une vaste zone le plus uniformément possible. On était loin du type classique de bombardement, dont l'objet est de toucher un point déterminé à l'avance. Quand, comme ce fut de plus en plus le cas à partir de la fin de l'année 1966, les B-52 durent effectuer des missions d'appui tactique, le problème de la précision dut être résolu. La solution fut, pour l'essentiel, de transporter au Viêt-nam les stations de radars de précision, utilisées jusque-là pour former et entraîner les équipages de B-52 aux États-Unis. Dans les bombardements simulés commandés par radar, il n'est pas nécessaire de larguer des bombes, le bombardier se contente d'appuyer sur un « bouton de largage » qui émet un signal radio. Le radar au sol enregistre la position exacte, l'altitude, la vitesse propre et la direction du bombardier, puis, à l'aide d'un ordinateur, détermine de combien de mètres la bombe fictive aurait manqué l'objectif. Sept radars de bombardement furent envoyés au Viêt-nam et les B-52D furent dotés de transpondeurs auxiliaires qui facilitaient la réception radar. Appelé plus tard Combat Skyspot, le bombardement commandé par radar fut amélioré quand les radars devinrent totalement mobiles et que leur rayon d'action fut porté à 370 km.

 


Les missions de bombardement furent e aussi simplifiées lorsque les B-52 commencèrent, en avril 1967, à opérer à partir des base aérienne thaïlandaise d'U-Tapao. La durée d'une mission se situa entre trois et cinq heures ; la tension à laquelle étai soumis les équipages s'en trouva allégée et les avions n'eurent pratiquement plus à se faire ravitailler en vol. Pendant les cinq années qui suivirent, les B-52 larguèrent leurs bombes avec une précision croissante sur tous les objectifs qu'ils avaient l'autorisation d'attaquer ; leurs sorties, il est vrai devinrent de moins en moins fréquentes, l'administration Nixon, devant l'impopulaitér grandissante de la guerre dans l'opinion américaine, rappelant chaque année de plus plus d'équipages aux États-Unis.

 


Mais, en mars 1972, une grande offensive nord-vietnamienne entraîna la reconstitution d'urgence de la force de bombardement américaine, et, pour la première fois, des B-52G furent envoyés à Guam. Avant-dernière version du B-52, le B-52G était doté de réservoirs structuraux qui lui conféraient une autonomie de vol considérablement accrue. Chaque mission demandait toujours environ quatorze heures de vol, cependant les B-52G pouvaient faire l'aller et retour sans l'aide d'avions ravitailleurs. Ils bénéficiaient la charge offensive originelle des B-52 (27 bombes) et étaient munis d'instruments de contre-mesures électroniques (CME), à l'époque beaucoup moins sophistiqués que ceux, récemment modernisés, du B-52D. A fin du mois de juin 1972, la force de bombardement américaine était constituée de 98 B-52G et 52 B-52D implantés à Andersen, et 50 B-52D basés à U-Tapao ; 105 sorties étaient effectuées chaque jour, 3 150 chaque mois. Au cours des missions Linebacker cette force impressionnante bombarda des objectifs situés très au nord de la zone démilitarisée ; puis, dès octobre 1972, quand la conférence pour la paix s'ouvrit à Paris, Nixon ordonna l'arrêt des bombardements au nord du 20e parallèle. En décembre, les Nord Vietnamiens rompaient les pourparler et Nixon lança alors les opérations Lineback II, qui allaient constituer la plus intense campagne de bombardement de toute la guerre du Viêtnam, une campagne d'une ampleur digne d'un conflit normal.

D'importantes formations composées souvent de plus de cent avions opérèrent surtout de nuit, bravant les périls que constituaie les MiG, les missiles sol-air et les tirs de milliers de canons commandés par radar. Du au 29 décembre 1972, les B-52 effectuère 729 sorties, larguant plus de 15 000 t bombes sur les objectifs les plus difficiles, notamment des aérodromes nord-vietnamie et le port de Haiphong. Le soir du premi jour de la campagne, le mitrailleur de queue d'un B-52 (l'AC1 Albert E Moore) abattit un MiG-21, victoire qui devait être confirmée par la suite. Mais le dernier et le plus violent épisode de l'offensive des bombardiers allait être marqué par le tir de centaines de missiles SA-2, qui, bien que dépassés et parfois pouvant être évités, abattirent quinze appareils et infligèrent des dommages considérables à quatorze autres qui revinrent de justesse à leurs bases. Ainsi l'ultime campagne des B-52 vit l'emploi d'armes sophistiquées, mais les grands bombardiers furent les premiers à en pâtir.

 


 

 

 

 

 

 

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