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EVACUER SAIGON
Avril 1975. A Saigon, la fin était proche. Le seul espoir
d'échapper aux forces communistes qui convergeaient vers la
capitale du Viêt-nam du Sud était la voie des airs. Répondant
aux appels à l'aide de leurs alliés, les Américains
organisèrent, dans une atmosphère de fin du monde, la
plus grande évacuation aérienne de l'histoire.
Daly et Healy avaient vécu une aventure encore plus incroyable
quelques jours auparavant lors de l'évacuation de Da Nang.
Dernier avion à quitter l'ancienne base américaine,
leur Boeing 727 dut se frayer un passage à travers une foule
hagarde de réfugiés. Ils durent effectuer leur vol tout
entier avec un volet partiellement abaissé et le train d'atterrissage
sorti (ce dernier avait été faussé après
être passé sur le corps d'un soldat sud-vietnamien étendu
en travers de la piste au moment du décollage). L'avion de
ligne parvint à Saigon avec 290 personnes à son bord,
dont quelques-unes accrochées aux roues de l'atterrisseur. Quatre jours après le commencement de Babylift survint un
terrible désastre. Un C-5, qui venait de livrer des obus de
105 mm aux forces armées sud-vietnamiennes, quitta Tan Son
Nhut avec deux cent cinquante orphelins et trente-sept membres de
l'état-major de l'attaché de défense américain
à Saigon. Quinze kilomètres après que l'appareil
eut pris l'air, la porte de chargement arrière éclata,
entraînant la destruction de toutes les commandes de queue.
Le pilote, le Captain Dennis Traynor,
tenta alors de ramener l'avion en perdition sur l'aéroport
sud-vietnamien en n'utilisant que les ailerons et les commandes des
gaz. Mais le Galaxy s'écrasa dans une rizière à
8 km du but, se séparant en quatre morceaux, et les 175 personnes
qui avaient survécu furent recueillies par des hélicoptères
d'Air America et de la force aérienne sud-vietnamienne.
A la suite de cette tragédie, tous les C-5 furent interdits
de vol, en attendant la conclusion d'une enquête, les opérations
d'évacuation se poursuivant avec les C-141, les C-130 et divers
appareils appartenant à des compagnies privées. Lorsque
les ambassades étrangères partirent à leur tour,
l'aéroport fut encombré d'appareils de toutes nationalités.
La tension grandit à Tan Son Nhut, particulièrement
quand les représentations diplomatiques des pays de l'Est quittèrent
à leur tour le pays. L attaché de défense américain
dut former un groupe spécial de planification qui s'occupa
de définir les priorités pour les évacuations
et de mettre l'aéroport en état de défense afin
d'empêcher les réfugiés de le prendre d'assaut
au moment où le pont aérien (projet Alamo) débuterait
vraiment. Les toits des immeubles les plus hauts situés autour
de Saigon furent transformés, moyennant quelques aménagements,
en plates-formes d'atterrissage et d'envol pour hélicoptères,
tandis que des plans de trafic aérien et routier étaient
établis. A cette époque, la Task Force 76 de l'US Navy,
forte de trois porte-avions et de cinquante navires, arriva au large
des côtes du Viêt-nam du Sud afin de couvrir l'opération
Frequent Wind. Les Américains venaient alors tout juste d'évacuer
Phnom Penh. Le palais du président Thieu ayant été attaqué, le 8 avril, par un aviateur sud-vietnamien rebelle pilotant un Northrop F-5, les bureaux de plusieurs compagnies aériennes civiles quittèrent Saigon. Au même moment, les moyens disponibles pour le pont aérien faisaient l'objet d'un gaspillage navrant, dû avant tout aux difficultés que les organisateurs éprouvaient à canaliser le flot des réfugiés, et de nombreux appareils repartaient presque vides. Parallèlement, les services de renseignement procédaient au départ de leurs agents et évacuaient des documents confidentiels en utilisant des moyens discrets, dont un chemin de fer souterrain. Les avions employés pour mener à bien cette opération étaient ceux d'Air America, la compagnie aérienne de la CIA. Le chemin de fer souterrain, quant à lui, fut employé par la suite pour faciliter la fuite des officiers vietnamiens appartenant à l'état-major de l'attaché de défense américain et qui ne bénéficiaient pas des autorisations américaines nécessaires.
Le pont aérien commence L'espoir d'un règlement négocié se fit jour le 21 avril, date à laquelle le président Thieu démissionna de ses fonctions, mais les Nord-Vietnamiens étaient à présent trop près de Saigon pour s'arrêter. L'énorme affluence régnant à Tan Son Nhut obligea les Américains à programmer vingt et un vols de C-141 de jour et un nombre équivalent de liaisons de C-130 de nuit. Le président philippin Marcos ayant interdit le débarquement des réfugiés sud-vietnamiens à Clark AFB, les avions américains durent poursuivre leur route jusqu'à Guam et Wake, après s'être ravitaillés aux Philippines. Le départ des orphelins se poursuivit, Ed Daily emportant 470 enfants en deux vols de Boeing 727, Dans la soirée du 25 avril, un Douglas C-118 dont l'arrivée n'avait pas été annoncée à l'attaché de défense se posa à Tan Son Nhut. Le lendemain, l'appareil prit l'air et se dirigea vers T'ai-wan, avec à son bord le président sud-vietnamien, Thieu, et les membres les plus importants de son entourage. La route reliant Saigon à Vung Tau ayant été coupée dans l'intervalle, les Américains expédièrent sur cette dernière base deux Hercules de l'USAF chargés d'embarquer les soldats sud-vietnamiens qui avaient défendu la place dans des conditions difficiles. La prise de Vung Tau réduisit à néant tout espoir de tenter une évacuation par mer.
Le matin suivant, l'évolution de la situation militaire accrut la panique à Saigon et plaça l'attaché de défense dans une situation délicate. Des roquettes, les premières depuis le cessez-le-feu de 1973, tombèrent en effet sur la capitale du Viêt-nam du Sud et sur la ville voisine de Cholon. Un immense incendie se déclara, laissant de nombreux citadins sans abri. Cet événement amena les autorités américaines à ramener les C-141 sur leurs bases de Guam, Clark et Wake, où la vitesse et l'autonomie de ces appareils seraient plus utiles, et à affecter un autre squadron de C-130 - un avion mieux adapté aux opérations sous les tirs ennemis - à Tan Son Nhut. Depuis la catastrophe du Galaxy, le chargement des Hercules avait été limité à 94 passagers par appareil, mais il dépassa souvent, en raison des circonstances, 250 personnes. Le 28 avril, à 18 h 6, trois Cessna A-37 pris par les Nord-Vietnamiens bombardèrent Tan Son Nhut et y causèrent quelques dommages. Le Captain Ken Rice, pilote de C-130 au 374th TAW, quitta l'aéroport vietnamien sous un déluge de feu, tandis que le First Lieutenant Fritz Pingle était pris en chasse par l'un des avions ennemis. Ce dernier le poursuivit sans ouvrir le feu sur lui. Ce n'est qu'après avoir pris contact avec un Boeing RC-135 en patrouille que l'équipage américain se rendit compte que l'assaillant avait abandonné la poursuite.
Quant à l'attaché de défense, il se préparait
à affronter la dure journée du 29 avril, au cours de
laquelle soixante avions se préparaient à emporter près
de dix mille personnes. Tan d~is que les routes convergeant vers Tan
Son Nhut étaient encombrées de véhicules de toutes
sortes, trois Hercules atterrirent au petit matin sur l'aéroport,
et les opérations de chargement débutèrent immédiatement.
Le deuxième des appareils américains s'était
à peine rangé près du premier qu un bombardement
massif de roquettes de 122 mm commença. L'un des projectiles
éclata sous l'aile du troisième avion, alors qu'il roulait
encore sur la piste, et le transforma en une immense boule de feu.
L'équipage du C-130 parvint à échapper à
la fournaise alors que le premier Hercules, chargé à
bloc, s'apprêtait à décoller sous les tirs ennemis.
Son pilote, le Captain Arthur Mallano, parvint à prendre l'air
avec 260 réfugiés à son bord, suivi par le C-130,
vide, du Captain Greg Chase. L'Hercules
de Mallano était si surchargé qu'il avait à peine
atteint 1 850 m alors que celui de Chase se trouvait déjà
à 6 700 m. Roquettes sur Tan Son Nhut Le C-130 de Chase fut le dernier avion américain à quitter le Viêt-nam du Sud. En effet, l'attaque à la roquette du 29 avril fut si dévastatrice et la piste de Tan Son Nhut si endommagée qu'il fallut renoncer à poursuivre l'opération Fréquent Wind avec des appareils conventionnels. Les SudVietnamiens tentèrent cependant leur chance en faisant prendre l'air à deux C-130. Mais un De Havilland Canada C-7 qui essaya de s'envoler sur un seul moteur s'écrasa au sol. Plusieurs autres parvinrent à décoller et prirent la direction de la Thaïlande, tandis qu'un Fairchild AC-119K et deux Douglas A-1 attaquèrent les forces ennemies. L'un des A-1 fut abattu, et l'AC-119K se retrouva bientôt seul. Il continua à se battre pendant une partie de la matinée, empêchant les Nord-Vietnamiens d approcher des limites de l'aéroport. Après s'être approvisionné en carburant et en munitions, il reprit la lutte, mais fut bientôt touché par un missile sol-air SA-7 et s'abîma en flammes. N'ayant rien d'autre à faire, le personnel au sol avait suivi jusqu'au bout le combat héroïque de l'AC-119K. Aux alentours des bureaux de l'attaché de défense, la situation avait empiré. Des dizaines de soldats sud-vietnamiens, privés de chefs et d'instructions, se présentaient aux postes de contrôle et demandaient à être embarqués. Faisant preuve d'un sangfroid et d'un esprit de diplomatie rares, les responsables de l'opération parvinrent à calmer cette foule désespérée. Le plan prévoyant le convoyage de passagers parles hélicoptères d'Air America entre la ville et l'aéroport avait été annulé en raison des tirs de roquettes, l'aire de ravitaillement en carburant ayant été endommagée. Cela signifiait que les voilures tournantes américaines ne pourraient désormais s'approvisionner que sur les bâtiments de la Task Force 76. Face à l'afflux des réfugiés, les services de l'attaché de défense et ceux de l'ambassade furent totalement débordés. Il fallut amener 840 Marines sur place à bord de Sikorsky CH-53 et de Boeing Vertol CH-47 pour assurer la sécurité des deux établissements. Les soldats américains durent tirer en l'air et jouer du poing pour calmer les Su Vietnamiens affolés. En retournant vers leurs navires,' hélicoptères qui venaient de débarquer les Marines emb, quèrint un certain nombre de réfugiés.
Des canons antiaériens et des missiles SA-7 ayant i déployés autour de Saigon, des chasseurs prirent l'air a de protéger les hélicoptères des tirs venus du sol, et C-130 fut utilisé comme poste de commandement aéropa pour surveiller le trafic aérien. Des Grumman F-14A To, cat fournirent une couverture haute contre toute tentat des Nord-Vietnamiens de lancer leurs MiG à l'attaqi Mais rien ne se produisit. Pendant la nuit, l'attaché de défense acheva l'évacuation de son secteur et fit mettre feu au bâtiment qui avait abrité ses services (il restait pi de 4 millions de dollars dans les caisses). Il était un peu plus de minuit, ce 30 avril 1975.
Trois heures plus tard, l'ambassade des États-Unis Saigon était abandonnée à son tour. Tandis que les CH-53 utilisaient le parking et les CH-46 le toit de l'immeuble, des Vought A-7 et des Grumman A-6 patrouillaient afin de faire face à toute éventualité. Les hélicoptères poursuivirent leur noria entre la capitale sud-vietnamienne et les bateaux de la Task Force 76 sous le feu des troupes non vietnamiennes et du Viêt-cong. Il restait encore des milliers de personnes à évacuer, et, malgré le nombre d'apparei engagés dans l'opération, les besoins devenaient sans cesse plus importants. A 4 h 30, le poste de commandemei volant fit passer ce câble : « Le message qui suit est du président des États-Unis et doit être transmis par le premit équipage d'hélicoptère qui sera en contact avec l'ambassadeur Martin. Il ne sera encore effectué que vingt et une sorties, et seuls les ressortissants américains seront encore concernés. L'ambassadeur Martin doit s'embarquer dans la première voilure tournante disponible. Cet appareil émettra le message suivant :"Tiger, Tiger, Tiger" quand il aura pris l'air et qu'il se dirigera vers les bâtiments au large. »
A 4 h 45, l'ambassadeur des États-Unis au Viêt-nam du
Sud et les membres les plus importants de son entourage se trouvaient
à l'abri à bord du « Lady Ace 09 ». La dernière
personne à être évacuée quitta la ville
assiégée à 5 h 9 et le dernier Marine embarqua
à 7 h 53, au moment même où la foule envahissait
le toit de l'immeuble, non sans avoir été longtemps
contenue aux étages. Le chef des Marines, le Major Jim Kean,
prit place à bord du dernier hélicoptère et atteignit
la Task Force à 8 h 25. L'opération Frequent Wind était
terminée. A 10 h 24, le successeur éphémère
de Thieu à la présidence du Viêt-nam du Sud, Minh,
annonça la capitulation sans condition de son pays. L'évacuation de Saigon se poursuivit par divers moyens, des milliers de réfugiés s'enfuyant par bateau. La plupart purent être récupérés et furent transférés à Cubi Point, aux Philippines, en attendant leur transfert aux États-Unis. La force aérienne sud-vietnamienne continua à combattre pendant toute la journée du 30 à partir de la base de Binh Thuy, encerclée par les forces ennemies. Des A-37 réussirent à détruire des chars nord-vietnamiens dans les rues de Saigon avant de rallier la Thaïlande, au cours de la matinée. Plusieurs y atterrirent, tandis que d'autres, à court de carburant, se posèrent au Cambodge. Un F-5 tenta même un atterrissage sur une route à l'ouest de la Thaïlande. L'un des derniers hélicoptères arrivés dans ce pays fut un Bell UH-1 d'Air America transportant le maréchal de l'air Nguyen Cao Ky, récemment limogé de son poste de commandant en chef de la force aérienne sud-vietnamienne. Plusieurs des voilures tournantes de cette aviation qui avaient pu rejoindre la Task Force 76 furent jetées à la mer, une fois leurs passagers débarqués, faute de place sur les porte-avions. Un Cessna O-1 Bird Dog solitaire apponta sur l'USS Midway malgré l'interdiction qui lui en fut faite. Enfin, une armada formée de vingt-neuf UH-1, deux Boeing Vertol CH-47 et un O-1 se dirigea vers le Midway. Grâce à l'excellent travail fourni par les équipes de pont, tous ces appareils purent se poser sans problème sur le pont du porte-avions américain.
L'évacuation de Saigon était terminée. Quelques chiffres permettent d'attester son importance et rendent compte du travail qu'accomplirent ceux qui eurent en charge sa planification. Plus de 130 000 personnes quittèrent le Viêt-nam du Sud à cette occasion, dont 57 507 par la voie des airs. Sur ce total, 50 493, y compris 2 678 orphelins, furent transportées par avion, les 7 014 réfugiés restants empruntant les hélicoptères de l'US Marine Corps, d'Air America et de l'US Air Force (4 395 partirent des bureaux de l'attaché de défense américain et 2 619 de l'ambassade des États-Unis à Saigon). Le Military Airlift Command de l'USAF enregistra 201 sorties de C-141 et 174 de C-130, tandis que huit compagnies civiles bénéficièrent de contrats en vue de prendre part à ce gigantesque pont aérien. Entre le 29 et le 30 avril, les hélicoptères accomplirent 662 missions, dont 82 effectuées par les CH-53 et HH-53 de l'USAF, 556 par les CH-46 et CH-53 de l'USMC, et 24 par des Bell AH-1J armés du Marine Corps. Opérant depuis les porte-avions USS Kitty Hawk et Enterprise, les A-6, A-7 et F-14 de l'US Navy menèrent 173 sorties alors que les A-7, F-4, F-111 et AC-130 basés en Thaïlande en conduisirent 127. Enfin, les ravitailleurs KC-135, les plates-formes de reconnaissance électronique RC-135 et les C-130 ABCCC de l'Air Force se relayèrent sans arrêt pour apporter leur appui à l'armada américaine. Seuls trois appareils (un A-7, un AH-1J et un CH-46) furent perdus, deux Marines étant tués lors d'une attaque à la roquette contre Tan Son Nhut.
Au total, les Américains effectuèrent 19 000 sorties pendant ce terrible mois d'avril 1975, auxquelles doivent être ajoutées celles assurées par Air America (1000). La guerre du Viêt-nam s'achevait. Les États-Unis tournaient une page de leur histoire.
Ce tableau donne le nombre de personnes évacuées chaque
jour ainsi que ies totaux cumulés. Les chiffres livrés
ici permettent de se faire une idée de l'ampleur du pont aérien
mis en place par les Américains en avril 1975,
Sources : Avions de guerre numéro 19 ; le combat aérien
aujourd'hui : Editions Atlas 1988 |
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