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L'AFFAIRE DU "MAYAGUEZ"
De toutes les campagnes menées en Asie du Sud-Est, aucune n'a autant opposé les Américains que l'invasion du Cambodge, ordonnée par le président Nixon en avril 1970. Ayant choisi la voie neutraliste au milieu des années soixante, alors qu'il était gouverné par le prince Norodom Sihanouk, cet État était devenu un véritable havre pour les forces communistes et ses provinces orientales avaient progressivement constitué des bases importantes pour les troupes nord-vietnamiennes et du Viêt-cong opérant au Viêtnam du Sud. Peu de temps avant l'action conjointe des Américains et des Sud-Vietnamiens au printemps de 1970, un nouveau gouvernement avait été formé sous la direetion du général Lon Nol, qui avait rebaptisé le pays du nom de République khmère. Cette nation était profondément divisée et les Khmers rouges, fidèles à Sihanouk, contrôlaient près de 60 % du territoire. En dépit de l'aide militaire et économique massive que lui apportèrent les États-Unis, le régime de Lon Nol s'écroula et Phnom Penh, la capitale du Cambodge, tomba entre les mains des Khmers rouges le 17 avril 1975. Violemment xénophobes, détestant de la même façon l'Amérique et la république démocratique du Viêt-nam, ces derniers procédèrent à d'immenses déplacements de population et capturèrent le SS Mayaguez dans l'après-midi du 12 mai 1975.
Navire capturé Navire porte-conteneurs jaugeant 10 776 tonneaux, le Mayaguez, qui appartenait à Sea-Land Service Inc., croisait dans les eaux internationales, à 110 km des côtes sud-ouest du Cambodge, quand il fut arraisonné par des bâtiments de patrouille khmers. Peu avant d'être fait prisonnier, le radio avait réussi à transmettre un message de détresse, et, au début du jour suivant, un Lockheed P-3 Orion de l'US Navy repéra le Mayaguez au large des îles Poulo Wai. Quelque temps plus tard, le bateau américain fut amené à Koh Tang, l'équipage tout entier étant interné dans l'ile de Koah Rong San Loen le lendemain. Se fondant sur les informations transmises par le P-3 et sur les reconnaissances accomplies par des F-111 de l'USAF, le comité des chefs d'état-major et le conseil national de sécurité américain pressèrent le président Ford d'agir de toute urgence. Craignant qu'une absence de réaction des Etats-Unis n'encourage de tels actes partout dans le monde, la Maison Blanche autorisa une opération de sauvetage. Fort heureusement, le retrait des froces américaines de Thailande, commené deux mois auparavant, n'était pas très avancé. Les américains disposaient encore sur place de moyens aériens et maritimes suffisants pour entreprendre une telle action. Deux cent trente hommes apparetenant à la 3rd Marine Division's Amphibious Brigade furent transportés par la voie des airs d'Okinawa en Thailande, tandis que le porte-avions USS Coral Sea, accompagné de trois destroyers, reçut l'ordre de rallier le Golf de Siam. Ignorant les protestations du gouvernement Thailandais, les Américains rassemblèrent leur force d'intervention sur la base d'U-Tapao. L'élément aérien de cet ensemble se composait du 388 TFW (Vought A-7D), du 432 TFW (F-4E), du 347 TFW (F-111) du 374 TAW (C-130E), du 16 SOS (AC-130E) eu 56 ARRS (HC-130P), du 40 ARRS (Sikorsky HH-53C) et du 21st SOS (CH-53C). Dans l'intervalle, l'Air Force subit ses premières pertes, un hélicoptère de transport CH-53C s'écrasant au sol alors qu'il convoyait des policiers militaires de Nakhon Phanom à U-Tapao. Dix-huit passagers et cinq membres d'équipage trouvèrent la mort dans cet accident.
Le premier appareil à entrer en action fut le Lockheed AC-130E
du l6th SOS, qui, pendant la nuit du 13 mai, suivit des navires de
petite taille faisant la navette entre le Mayaguez et Koh Tang. Repéré
par l'ennemi, l'avion essuya le feu d'un navire de patrouille et d'armes
antiaériennes dissimulées dans l'île. Au petit
matin, l'AC-130E tira des salves d'avertissement en direction du bâtiment
cambodgien en vue de stopper le transfert des prisonniers américains
vers Koh Tang: Un peu plus tard dans la journée, des chasseurs
tactiques firent de même. Ne comprenant pas cette démonstration
de force et ignorant les intentions du commandement américain,
l'équipage du Mayaguez fut transféré à
Koh Tang. A ce moment, les hélicoptères chargés
de l'opération de sauvetage étaient sur le point de
quitter la Thaïlande. Personne, à leur bord, ne se doutait alors que les combats qui allaient opposer les forces américaines aux Khmers rouges retranchés dans l'île de Koh Tang allaient se révéler si rudes. Les difficultés auxquelles la force d'intervention allait se heurter, aucun des responsables américains ne les soupçonnait. Les Américains étaient sûrs d'eux au départ, eu égard à l'importance des moyens qu'ils avaient décidé de consacrer à l'opération.
Les Marines au combat Aux premières heures de l'aube, le 15 mai 1975, six HH-53C
Super Jolly Green (une septième voilure tournante, indisponible
pour le moment, allait se joindre à cette petite armada un
peu plus tard dans la journée) et cinq CH-53C s'envolèrent
d'U-Tapao avec des Marines à leur bord. Trois HH-53C déposèrent
les hommes qu'ils transportaient sur l'USS Harold E. Holt, un destroyer
d'escorte chargé de l'opération d'abordage du Mayaguez,
tandis que les huit autres hélicoptères prenaient le
chemin de Koh Tang. Le travail confié aux Marines du Harold
E. Holt fut des plus faciles. A 8 h 30, le bâtiment américain
se rangea le long du porte-conteneurs abandonné sans rencontrer
la moindre opposition. Peu de temps après, le Mayaguez fut
pris en remorque. Les troupes débarquées à Koh
Tang n'eurent pas cette chance. Les Marines rencontrèrent une
résistance plus importante que prévue et se rendirent
vite compte que l'équipage américain ne se trouvait
plus dans l'île. Le long voyage qu'ils avaient effectué
s'était révélé inutile. Placés sous le commandement du Lieutenant Colonel Randall
W. Austin, les premiers éléments de l'USMC devaient
débarquer dès le lever du jour à l'extrémité
nord-ouest de Koh Tang en deux groupes séparés. Le plus
important devait prendre pied sur le rivage ouest, et le moins étoffé
devait débarquer à l'est. Bénéficiant
d'une supériorité numérique de deux contre un
et d'un important appui aérien, les Marines avaient pour mission
de déterminer si l'équipage du Mayaguez était
toujours sur l'île et, dans l'affirmative, de le libérer. Dès qu'ils atterrirent sur le littoral occidental, les hélicoptères de tête, dont les indicatifs étaient Knife 21 et Knife 22 (les CH-53C engagés dans l'opération portaient les appellations Knife 21, 22, 23, 31, 32, 51 et 52, alors que les HH-53C étaient désignés Jolly 11, 41, 42, 43 et 44), furent pris à partie par des tirs d'armes légères, de roquettes et de mortiers. L'un de ses turbomoteurs en panne et ayant subi par ailleurs d'importants dommages, Knife 21 reprit l'air après avoir déchargé les Marines qu'il transportait. Le Lieutenant Colonel John H. Denham et les trois autres membres de l'équipage tentèrent bien de le maintenir en l'air, mais les dégâts étaient trop graves. Ce CH-53C effectua un amerrissage forcé au cours duquel le Sergeant Elwood E. Rumbaugh, le mécanicien navigant, trouva la mort après avoir extrait le copilote de la machine en perdition.
Tandis que les survivants de Knife 21 étaient recueillis par
un autre CH-53C, Knife 22 essayait de se poser sur la plage occidentale
de l'île. Ayant ses réservoirs troués, il n'y
réussit pas et dut rallier la côte thaïlandaise,
où il se posa à court de carburant. Un troisième
CH-53C, Knife 32, parvint à débarquer les Marines qu'il
avait à son bord, mais, touché à plusieurs reprises,
il dut regagner sa base avec un membre d'équipage grièvement
blessé. Ainsi, en quelques minutes, trois des hélicoptères
engagés dans l'opération avaient été mis
hors de combat. L'assaut mené sur la plage orientale en vue de verrouiller
la partie septentrionale de Koh Tang, où les Américains
pensaient que se trouvait l'équipage du Mayaguez, fut encore
plus difficile. Knife 23 et Knife 31 furent immédiatement abattus.
L'équipage et les Marines de la première voilure tournante
parvinrent à se tirer d'affaire, mais un copilote de l'US Air
Force, deux hommes de l'US Navy et dix Marines de la seconde furent
tués. Cinquantequatre combattants seulement, séparés
en deux groupes, avaient réussi à prendre pied sur l'île,
au prix de pertes prohibitives. L'affaire de Koh Tang semblait tourner
à la catastrophe. Craignant d'atteindre, dans la confusion qui régnait au sol,
les éléments amis, les avions tactiques n'avaient pu
tout d'abord assurer leur mission d'appui-feu. Un contrôleur
aérien avancé des Marines ayant survécu à
la destruction de Knife 31 fut cependant en mesure de guider leurs
attaques quelque temps plus tard. Tandis que les tireurs ennemis étaient
tenus en respect par l'aviation, trois HH-53C essayèrent de
débarquer leurs Marines sur la plage occidentale. Jolly 41
fut maintenu à distance par le feu adverse, mais Jolly 42 et
Jolly 43 furent plus heureux. La situation n'en était pas moins
critique, car la force d'intervention américaine se trouvait
divisée en trois éléments (60 hommes sur la plage
ouest, 29 un peu plus au sud et 25 sur la côte est) incapables
d'opérer leur jonction. Une première tentative en ce
sens fut entreprise, en vain, à partir du littoral ouest, Jolly
13, qui venait d'être ravitaillé en vol par un HC-130P,
subissant de sévères dommages. Attaque sur l'aérodrome A 7 h 45, alors que les Marines tentaient de s'extraire de leurs
têtes de pont sous la protection des chasseurs de l'US Air Force
et des AC-130E, les appareils du CVW-15, embarqués sur le porte-avions
USS Coral Sea, s'en prirent à l'aérodrome de Ream. Les
avions qui se trouvaient là (pour l'essentiel, des North American
T-28D fournis par les États-Unis au Cambodge avant l'arrivée
au pouvoir des Khmers rouges) furent tous détruits au sol.
Une heure plus tard, une autre vague comprenant des Vought A-7E, des
Grumman A-6A et des F-4N Phantom détruisit un dépôt
de carburant situé près de Kompong Som. En outre, quinze
Boeing B-52D du 43rd Bombardment Wing,
basé sur l'île de Guam, se préparaient à
intervenir. L'équipage du Mayaguez ayant été
libéré avant l'envol des bombardiers lourds du Strategic
Air Command, le raid fut décommandé. Dirigés par un A-7D agissant comme appareil de contrôle aérien avancé, les avions d'attaqug américains, qu'appuyaient des AC-130E armés de canons de 20, 40 et 105 mm, mitraillèrent et bombardèrent les positions adverses à 50 m à peine des lignes amies. Profitant de cette circonstance, Jolly 41 déposa les Marines qu'il emportait. A ce moment, huit des onze hélicoptères engagés dans l'opération avaient été descendus ou sévèrement endommagés. Heureusement pour les Américains, l'USS Wilson repéra, à 10 h 45, un bateau de pêche thaïlandais auquel les Khmers rouges avaient confié l,équipage du Mayaguez en vue de sa restitution. L'objectif poursuivi par Washington étant atteint, il convenait à présent d'évacuer les forces débarquées à Koh Tang. Pour y parvenir, il fallait renforcer suffisamment les éléments présents sur la plage occidentale afin de secourir par la voie terrestre les hommes qui combattaient sur le rivage oriental de l'île.
Les renforts à pied
d'uvre Une première tentative en ce sens se heurta au feu dense et
précis des Khmers, dont la pression sur les Marines s'accentuait
au fil des heures. Presque à court de carburant, Knife 52 encaissa
plusieurs coups et dut regagner sa base sans avoir pu décharger
les hommes qu'il transportait sur la tête de pont orientale.
Knife 52, Jolly 11, Jolly 12 et Jolly 43 eurent plus de chance sur
la rive occidentale, où ils mirent à terre cent huit
combattants, multipliant d'un seul coup par deux le nombre d'Américains
présents à Koh Tang. Dans l'intervalle, les Marines
isolés un peu plus au sud avaient opéré leur
jonction avec ceux de la rive ouest, consolidant ainsi l'ensemble
de la position américaine. La résistance qu'opposait
l'ennemi risquant de rendre très coûteuse toute progression
à travers la jungle jusqu'à la plage orientale, le commandement
américain décida d'enlever les combattants qui s'y trouvaient
par hélicoptère. Pour cela, les Marines de la tête
de pont ouest devaient faire diversion, l'aviation étant chargée
de la couverture de l'opération. Malgré le largage de conteneurs de gaz paralysant sur les positions khmères par des A-7D, la tentative d'évacuation conduite par Jolly 11 et Jolly 43 échoua. Ce dernier, l'un de ses moteurs atteint, eut beaucoup de peine à rallier le porte-avions Coral Sea, qui se trouvait à environ 110 km de Koh Tang. Pour donner aux hélicoptères de plus grandes chances de réussite, l'US Air Force jeta au combat deux North American OV-10A du 23rd Tactical Air Support Squadron, dont la mission consista à marquer les objectifs impartis aux A-7D, F-4E et AC-130E. En dépit de ce déploiement de moyens nouveaux et bien que plusieurs positions ennemies eussent été réduites au silence par les avions d'attaque et le Wilson, la situation était tout aussi critique à la fin de la journée.
Rembarquement réussi Les Marines de la tête de pont occidentale avaient parcouru
la moitié du chemin qui les séparait de leurs camarades
de la rive orientale quand les responsables de l'opération,
conscients de l'impossibilité de réaliser la jonction
avant la tombée de la nuit, prirent la résolution d'évacuer
la plage est par la voie des airs. Cette mission difficile fut confiée
à Jolly 11, Jolly 12 et Knife 51, un appui aérien massif
étant fourni par un C-130E, qui devait larguer 7 t de bombes
à dépression sur les lignes khmères, et par des
avions tactiques et des machines de transport armées. Soutenus
par les tirs du Wilson, les hélicoptères parvinrent
en fin de compte à embarquer les vingt-cinq hommes isolés
sur le rivage est et à les transporter jusqu'au Coral Sea,
où ils reçurent les meilleurs soins. Au cours d'une
reconnaissance destinée à repérer d'éventuels
survivants autour de l'épave de Knife 23, Jolly 12 encaissa
plusieurs coups qui l'obligèrent à regagner son porte-avions.
Il ne restait plus aux trois voilures tournantes encore disponibles
(Knife 51, Jolly 43 et Jolly 44) qu'à récupérer,
avant la tombée de la nuit, les Marines de la plage occidentale. Le courage des équipages de ces hélicoptères,
la discipline des hommes qui combattaient dans la tête de pont,
la précision des attaques menées par les AC-130H, qui
opéraient à 50 m des lignes amies, et les risques pris
par les pilotes des OV-10A Bronco réduisirent à néant
les espoirs des Khmers d'anéantir la petite force américaine
de Koh Tang au cours de la nuit. Ayant embarqué leurs premiers
passagers, Knife 51 et Jolly 43 prirent la direction du Coral Sea,
tandis que Jolly 44, qui ne pouvait voler en charge normale, débarquait
les siens sur la petite plate-forme d'atterrissage du Holt. Revenant
rapidement vers l'île, cette voilure tournante prit à
son bord quarante-quatre autres Marines, Knife 51 évacuant
les vingt-neuf derniers quelques minutes plus tard. Chargés
de combattants épuises ou blessés, les deux appareils
parvinrent sans encombre au Coral Sea. A cette heure, l'équipage
du Mayaguez était en sécurité. L'opération sur Koh Tang avait donc réussi, et, le 15 mai, à 9 h 45, heure de Washington (14 h 55 GMT), le président Ford fut informé que tous les Marines avaient quitté l'île, sur laquelle s'étaient déroulés des combats meurtriers. Bien qu'elle eût été conduite dans un contexte difficile pour les Etats-Unis, en pleine évacuation du Cambodge et du Viêtnam (la ville de Saigon était tombée, en effet, le 30 avril précédent entre les mains du Viêt-cong et des Nord-Vietnamiens), 1'action sur cette île mit un peu de baume au coeur d'une opinion américaine traumatisée par la défaite de son pays dans le Sud-Est asiatique.
A l'occasion des opérations de sauvetage des membres d'équipage du Mayaguez, de nombreux hommes recevront de très hautes distinctions. L'un d'entre eux, le 2Lt James V Mc Daniel recevra la Navy Cross. Quatre hommes recevront l'Air Force Cross, les dernières attribuées à l'occasion d'opération dans le Sud Est Asiatique : 1st Lt. Donald R. Backlund, 1st Lt. Richard C. Brim, SSgt. John D. Harston, and Capt. Rowland W. Purser et 9 recevront la Silver Star.
Au total 18 Marines et membres d'équipages seront tués dans l'opération, 23 autres se tuant dans le crash d'un hélicoptère
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Sources :
http://www.homeofheroes.com/valor2/SS/6_PostRVN/03_mayaguez.html
Avions de guerre numéro 69 ; le combat aérien aujourd'hui :
Editions Atlas 1988