VIETNAM - LA GUERRE DES ONDES ciel de gloire - histoire des as de l\'aviation de 1914 à nos jours



 


 

 



LA GUERRE DES ONDES

 


C'est au cours de la guerre du Viêtnam que furent employés pour la première fois de façon massive des avions de guerre électronique. Confrontés à des défenses ennemies de plus en plus denses, les Américains durent en effet mener des missions de brouillage, de reconnaissance et de veille radar avancée

Les systèmes de défense aérienne et de transmission des Nord-Vietnamiens se révélant de plus en plus sophistiqués et efficaces, les Américains furent contraints d'engager en Asie du Sud-Est un nombre sans cesse plus important d'avions de guerre électronique, qui assurèrent les missions les plus diverses : espionnage électronique, recueil des émissions radio et électromagnétiques de l'ennemi, veille radar avancée. Aujourd'hui, les plates-formes de guerre électronique sont devenues un élément essentiel de la guerre dans les airs, mais la plupart des tactiques appliquées à l'heure actuelle ont été définies au Viêt-nam. Tous les éléments des forces armées américaines furent plus ou moins concernés par la guerre électronique en Asie du Sud-Est.

 


Bénéficiant d'une expérience déjà longue acquise pendant la guerre froide, l'US Air Force n'attendit pas longtemps avant d'engager des avions de reconnaissance électronique au Viêt-nam. Les Boeing RB-47H, les RC-135, les Lockheed U-2, les Lockheed SR-71 et des drones spécialement équipés jouèrent un rôle important, mais la tâche d'appareils spécialisés de contre-mesures électroniques et de veille radar fut tout aussi essentielle.

 

RB-66 atterrissant sur l'USS Forestal


Les premières machines déployées en Asie du SudEst furent des Douglas RB-66, plates-formes efficaces de contre-mesures électroniques et de mesures de soutien électroniques. Six de ces appareils furent détachés à Tan Son Nhut en mai 1965 en vue de fournir une escorte aux avions engagés au-dessus du Viêt-nam du Nord. Grâce à leurs équipements adaptés, ils étaient en mesure de détecter les menaces éventuelles et de brouiller les radars de conduite de tir ainsi que les transmissions de l'adversaire. Cette force réduite ne pouvant assurer à elle seule toutes les tâches de guerre électronique, six RB-66E prélevés sur l'US Air Force in Europe furent envoyés en Asie du Sud-Est en septembre 1965. Bénéficiant de capacités supérieures à celles du RB-66C, le RB-66B se différenciait de ce dernier par des nacelles d'extrémités de voilure. Ces deux versions, rebaptisées EB-66B et EB-66C peu de temps après leur arrivée au Viêt-nam, accompagnèrent les McDonnell Douglas F-4 Phantom II et les Republic F-105 Thunderchief dans leurs missions au-dessus du territoire ennemi.


EB-66

 

Au départ, les EB-66 escortèrent les bombardiers tout au long de leur parcours jusqu'à l'objectif, en leur fournissant notamment des informations relatives à la navigation et en assurant leur protection lors des passes à basse altitude. La menace que constituaient les missiles sol-air adverses devenant sans cesse plus préoccupante, les plates-formes de guerre électronique opérèrent progressivement à distance de sécurité pendant les raids. Cela n'empêcha pas que six avions (un descendu par des intercepteurs, quatre par des missiles sol-air et un par des canons antiaériens) soient abattus dans les premiers temps.

Lorsque les EB-66 furent utilisés dans des missions de guerre électronique à distance de sécurité, le problème de la puissance de leurs brouilleurs se posa avec une très grande acuité. Il fallut attendre l'apparition de la version EB-66E, en septembre 1967, pour qu'il fût résolu. Les avions d'attaque étant progressivement équipés de nacelles de contre-mesures destinées à assurer leur autodéfense, les besoins en EB-66 diminuèrent. Ces appareils n'en servirent pas moins jusqu'en 1974.

 

RC-121D


Les Lockheed EC-121 de veille radar jouèrent également un rôle important dans la protection des avions d'attaque de l'US Air Force. Les premiers de ces appareils envoyés en Asie du Sud-Est consistaient en cinq EC-121D provenant du 552nd AW&CW, de McClellan AFB (Californie). Expédiés à Tainan, sur l'île de Formose, ces avions, qui avaient été baptisés Big Eye, commencèrent à opérer depuis Tan Son Nhut en avril 1965 dans le cadre des raids de bombardement Rolling Thunder. Deux ans plus tard, ils rejoignirent Ubon, en Thaïlande, puis Udorn, et enfin Korat, en octobre 1967. L'EC-121D se présentait comme une extrapolation de l'avion de ligne Constellation, lequel avait été pourvu d'un radar de recherche de grandes dimensions abrité dans un radôme placé sur la section centrale du fuselage. Un autre radar, altimétrique celui-là, avait été mis en place sur le dessus du fuselage. Les capacités de cet appareil en matière de défense aérienne ne furent pas exploitées, les avions nord-vietnamiens ne s'aventurant jamais au sud. Cependant, les EC-121D furent d'une très grande utilité dans la conduite des attaques sur le Viêt-nam du Nord, notamment pour la détection des MiG et pour empêcher les avions amis de pénétrer par erreur au-dessus du territoire chinois.

 

EC-121K


L'EC-121M Rivet Top, qui possédait des équipements plus sophistiqués, commença à être évalué au cours de la seconde moitié de 1967. Doté d'un radar et d'un IFF aux plus grandes capacités, cet appareil était en mesure non seulement de fournir des informations plus précises, mais aussi de détecter les sites de missiles sol-air nord-vietnamiens. Il pouvait ensuite diriger contre ces derniers des avions d'attaque dotés de missiles antiradars. Leur efficacité certaine valut aux EC-121M de demeurer au Viêt-nam jusqu'en 1969, époque à laquelle leurs équipements furent montés à bord des EC-121D. Ceux-ci furent engagés sous le nom de code de College Eye et servirent en Asie du Sud-Est jusqu'en mai 1974.

 

EC-121R


Plates-formes de relais

Une autre version du Constellation employée par l'US Air Force pour la guerre électronique fut l'EC-121R, réalisé dans le cadre du programme Igloo White. Les appareils de ce type, dotés de capteurs sismiques et acoustiques, servirent au-dessus de la piste Hô Chi Minh, et les informations qu'il recueillirent étaient exploitées par le centre de Nakhon Phanom, en Thaïlande. Ces avions, qui ne possédaient pas les radômes de grandes dimensions de leurs prédécesseurs, arboraient un camouflage tactique en trois tons. Ils servirent peu de temps au sein du 553rd Reconnaissance Wing, à Nakhon Phanom, puis furent remplacés par des drones Beech QU-22 Pave Eagle du fait de leur vulnérabilité aux tirs venus du sol.

 

Beech QU-22B Pave Eagle

 

Moins connues sont les missions conduites par les Douglas EC-47 de l'US Air Force sous le nom de code de Hawk Eye. Ces actions étaient menées au-dessus du Viêt-nam du Sud en vue de détecter les transmissions radio du Viêt-cong. Les Lockheed C-130 et les Boeing KC-135 furent employés quant à eux en tant que postes de commandement volants. Les premiers servirent au sein du 7th ACCS avec des équipements comprenant une capsule qui glissait sur la rampe de chargement arrière, et les seconds, baptisés KC-135A Combat Lightning, furent employés comme relais de communication radio. Ils furent épaulés ensuite par des EC-135L basés à U-Tapao.

 

EC-121R du 553rd Reconnaissance Wing


L'US Navy en action

L'US Navy s'intéressant depuis de nombreuses années à la guerre électronique, elle ne mit que peu de temps à engager des avions spécialisés dans ce type de mission en Asie du Sud-est. L'efficacité des appareils de veille radar embarqués avait été mise en valeur depuis fort longtemps quand débuta la guerre du Viêt-nam. Les porte-avions opérant en Asie disposaient alors de Grumman E-1B Tracer pour les tâches de guerre électronique. Connu sous l'appellation de Willy Fudd, l'E-1B avait été extrapolé du S-2 Tracker et comportait un radôme dorsal contenant un radar de veille. Un détachement de Tracer servait à bord de chaque porteavions, mais les capacités de l'US Navy dans le domaine des contre-mesures électroniques ne connurent de véritable progression que lorsque le Grumman E-2C Hawkeye fit son apparition.

 

EA-3B du VQ-1

 

Les missions de contre-mesures électroniques étant tout aussi importantes, les porte-avions opérant dans le golfe du Tonkin et en mer de Chine méridionale embarquaient des Douglas EA-1F Skyraider, provenant pour la plupart du Squadron VAW-13. Cependant, la plupart des sorties de contre-mesures électroniques revenaient aux Douglas EKA-3B Skywarrior, qui pouvaient également être utilisés comme citernes volantes. Caractérisés par une importante gondole ventrale, les EKA-3B étaient employés de la même façon que les Douglas EB-66 de l'US Air Force, assurant le brouillage à distance des radars et des communications de l'ennemi pour le compte des avions d'attaque de l'US Navy. Par la suite, lorsque le Grumman EA-6B Prowler fut engagé au combat, les capacités défensives de la flotte américaine connurent un développement spectaculaire.

 

Douglas EA-1F Skyraider

 

A terre, la marine était tout aussi active qu'en mer, notamment en ce qui concernait les missions de veille radar et d'espionnage électronique. Immédiatement après l'incident du golfe du Tonkin, la Navy envoya un détachement de Lockheed EC-121K à Sangley Point, aux Philippines, en vue de fournir à ses unités opérationnelles une couverture radar. Stationnant ensuite à Da Nang, ces avions, qui appartenaient au VW-1, ne furent en fait que très peu utilisés en Asie du Sud-Est. La Navy disposait en effet d'appareils de veille radar en quantités suffisantes à bord de ses porte-avions. Plus grand fut l'effort qui porta sur les missions de reconnaissance, lesquelles furent confiées au Squadron VQ-l. Basé à NAS Atsugi, au Japon, et à NAS Agana, à Guam, le VQ-1 alignait des EC-121K et des EC-121M destinés à des vols de reconnaissance météorologique et d'écoute des émissions ennemies. L'un de ces appareils fut descendu dans des circonstances non élucidées audessus de la Corée du Nord en 1969 avec à son bord trente et un hommes, dont aucun ne survécut. Plusieurs missions eurent lieu à partir de Da Nang, où étaient stationnés une partie importante des EA-3B Skywarrior du VQ-1. Ces avions, destinés à l'écoute des émissions adverses, pouvaient également opérer depuis des porteavions si cela se révélait nécessaire. Vers la fin de la guerre, l'EC-121 céda la place au Lockheed EP-3B, version d'espionnage électronique du patrouilleur maritime Orion. Le VQ-1 utilise encore aujourd'hui des EP-3 et des EA-3 pour la reconnaissance électronique.

 

 

EA-3B du VQ-1
E-2C et F-4


Activités de l'US Marine Corps

L'US Marine Corps fut lui aussi concerné par la guerre électronique pendant le conflit vietnamien. Dès le mois d'avril 1965, les premiers avions spécialisés dans ce type de mission arrivèrent à Da Nang en vue de soutenir les unités d'attaque de l'USMC. Ces appareils, des EF-10B Skyknight, appartenaient au Squadron VMCJ-1; les six machines déployées au départ travaillèrent non pas au seul profit de l'USMC, mais également à celui de l'US Air Force et de l'US Navy. Opérant sous le nom de code de Fogbound, elles assurèrent des sorties de contremesures électroniques et de reconnaissance électronique. Les succès remportés par les EF-10B furent tels que l'Air Force et la Navy demandèrent à utiliser ces appareils jusqu'à l'arrivée des EB-66 et des EKA-3B de contre-mesures électroniques. Le EF-1011 se présentait comme une extrapolation du F3D Skyknight, qui avait été le premier chasseur à réaction tout temps de la Navy et qui était entré en service en 1950. Des cellules de ce modèle étaient fatiguées, et l'avion arrivait au terme de sa carrière opérationnelle quand il fut engagé au Viêtnam. Néanmoins, il y demeura jusqu'en 1969, année où l'un d'entre eux fut détruit par un missile sol-air, où trois furent abattus par des canons antiaériens, et où un fut perdu dans un accident.

 

EF-10B Slynight du VMCJ-1


Nouveaux équipements

Le successeur de l'EF-10 fut le Grumman EA-6, qui fit son apparition en 1966. Cet avion se présentait comme une version de contre-mesures électroniques de l'A-6 Intruder manoeuvrée par un équipage de deux membres. L'EA-6B Prowler comportait un habitacle rallongé dans lequel pouvaient prendre place quatre membres d'équipage.

Utilisé par les Squadrons VMCJ-1 et VMCJ-2, l'EA-6A se révéla une excellente plate-forme de brouillage, et il remplit également des missions d'espionnage électronique.

En dépit du fait que les autres éléments des forces armées américaines disposaient de bons avions de guerre électronique, les Prowler de PUS Marine Corps furent engagés de manière occasionnelle en appui des opérations menées par l'US Navy et l'US Air Force, notamment des raids de B-52 Linebacker II.

Au sein de l'armée de terre, la guerre électronique concerna essentiellement le soutien des troupes sur le champ de bataille. Outre des missions de repérage des émissions radio ennemies, les appareils de l'US Army effectuèrent des sorties de reconnaissance. Parmi les avions employés à cette fin figuraient des Beech Queen Air et King Air équipés de systèmes de radiogoniométrie. Ces appareils ne détectaient pas seulement les émissions radio adverses, ils les enregistraient à des fins de traduction et d'analyse. Plusieurs types d'avions différents furent engagés, dont des U-21A pourvus de systèmes d'écoute électronique. Avant les RU-21, l'Army avait employé les machines les plus diverses, parmi lesquelles des De Havilland Canada RU-IA Otter, des RU-6 Beaver et des Beech RU-8 Seminole.

 

EA-6B


La plupart de ces appareils se caractérisaient par leurs grandes antennes dipoles ou d'autres types. Les plus nombreux de ces avions furent les Lockheed AP-2E (parfois des RP-2E) Neptune, qui servirent au sein de la lst Radio Research Company, basée à Cam Ranh Bay. Au moins trois d'entre eux disposaient d'équipements de brouillage actif dont l'alimentation était assurée par une génératrice auxiliaire placée dans la soute; mais on ne sait rien de leur utilisation opérationnelle. Il semble qu'ils effectuèrent des sorties de jour près de la zone démilitarisée en vue d'écouter les communications radio nord-vietnamiennes.

L'US Army utilisa largement la plate-forme de reconnaissance du champ de bataille Grumman OV-1 Mohawk, qui emportait souvent des capteurs électroniques à son bord. La version de base était l'OV-lA, et l'OV-1B disposait d'un radar à balayage latéral placé dans une nacelle sous fuselage; quant à'l'OV-1C, il possédait des senseurs à infrarouges et électroniques.

 

OV-1 Mohawk

 

Descendants modernes

Ces activités eurent un impact important sur le cours de la guerre en Asie du Sud-Est. Aujourd'hui, l'USAF dispose de plates-formes de guerre électronique modernes, comme le General Dynamics EF-111A. Les RC-135, U-2, SR-71, EC-130, EC-135 et E-3 assurent les missions d'espionnage électronique et de veille radar. Dans l'US Navy, les E-2, EP-3, EA-3 et EA-6 effectuent des tâches dont l'intérêt a été mis en évidence lors de la guerre du Viêt-nam. Les descendants du RU-21 comme le RC-12 jouent un rôle important au sein de l'armée de terre américaine, et l'OV-1 demeure la principale plate-forme de reconnaissance du champ de bataille de l'US Army.

Comme dans de nombreux autres domaines, notamment la reconnaissance, les avions sans pilote et les Gunship, la guerre du Viêt-nam avait constitué un champ d'expérimentation sans égal pour la définition et le développement des tactiques de guerre électronique au sein des forces armées américaines. Ces leçons ne devaient pas être oubliées. Bien au contraire, les années qui suivirent la fin du conflit en Asie du SudEst furent marquées par une intense réflexion au sein de l'institution militaire aux États-Unis, réflexion qui porta aussi bien sur les problèmes de doctrine que sur ceux concernant la technologie. Aujourd'hui, les Américains disposent de moyens de guerre électronique d'une très grande efficacité, qui ont fait leurs preuves à plusieurs reprises dans des actions menées par les forces armées nationales, notamment à la Grenade. Mais l'exemple le plus frappant de cette efficience reste le raid conduit en 1986 par l'US Air Force et l'US Navy audessus de Benghazi et de Tripoli avec d'importants moyens, dont des Grumman EF-111A Raven.

 

Grumman EF-111A RAVEN

 

 

Avions de guerre numéro 84 ; le combat aérien aujourd'hui : Editions Atlas 1988

 

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