Texte original : http://www.normandieniemen.com
Le colonel Jacques André est
né le 25 février 1919 à Paris. Ce ne sont pas
les fées mais bien son père, Georges André, dit
"Geo André" qui s'est penché sur son berceau
pour lui insuffler sa passion pour les airs. Geo André, sportif
de haut niveau qui réalisa l'exploit de participer à
quatre olympiades successives, conduisit précocement son fils
sur les aérodromes. A quinze ans, Jacques André est
breveté pilote de planeur. Pris en charge par les sections
d'aviation populaire, il devient moniteur de vol à voile (1).
Entre temps, marchant sur les traces de son père, il est sélectionné
en équipe de France d'athlétisme. En 1937, il participe
au match France-Allemagne et s'oppose ainsi, sur un plan strictement
sportif à ceux qu'il affrontera demain en combat aérien.
Grâce à son père, Jacques André a baigné
pendant toute son adolescence dans cette double ambiance, aérienne
et sportive.
Fréquentant les As de la Grande Guerre, côtoyant Mermoz, il était
aussi en relation avec Georges Carpentier et d'autres figures marquantes
de l'époque. Son engagement, le 15 avril 1939 dans l'armée
de l'Air se présente donc comme l'aboutissement naturel de
ses deux passions : le pilotage et le sport. Le 13 décembre
1939, il suit les cours de l'école de pilotage d'Etampes. Sorti
major de promotion, alors que l'armée allemande commençait
sa conquête du territoire français et qu'il était
impatient de livrer bataille, le 18 février 1940, il est désigné
comme moniteur à l'Ecole de l'air de Salon. Jacques
André regrette cette affectation qui protégeait
ainsi de l'épreuve du feu les meilleurs pilotes et envoyait
ceux qui avaient le plus grand besoin de rester en école pour
se perfectionner. Les Italiens bombardant Marseille, l'état-major
décide de replier les élèves sur Pau.
Nommé pilote-convoyeur, il est chargé de trouver les
hypothétiques avions basés dans la région pour
les conduire en Afrique du Nord. Véritable gageure, il traverse
de nombreuses fois la Méditerranée, essuyant à
son arrivée les réprimandes des autorités d'AFN
qui mettent en doute son ardeur à dénicher les appareils
dont ils ont tant besoin. Renvoyé aussitôt en métropole,
il se lâsse rapidement de ces inutiles navettes. Seule la présence
de son père qu'il a retrouvé, le réconforte. Aussi,
lorsque Geo André lui fait part de son désir de gagner
l'Algérie, il se met en quête de l'avion qui leur permettra
d'effectuer les huit cents kilomètres de traversée. La
présence fortuite dans un hangar d'un Simoun bien dissimulé
sous une épaisse couche de poussière les ravit. Partis
en pleine nuit, sous le feu des sentinelles, ils joignent Alger après
quatre heures trente de vol. Arrivé le 26 juin 1940 à
Alger-Maison-Blanche, il n'est pas directement affecté au sein
du groupe de chasse II/3. Impatient de prendre
les commandes d'un des Dewoitine 520 équipant la base, il parvient
à convaincre le capitaine de compagnie avec lequel il joue au
rugby, de l'intégrer dans une escadrille. C'est chose faite le
30 octobre 1940. Sept mois plus tard éclate l'affaire de Syrie
(2).
En Juin 1941, Jacques André est réquisitionné
pour participer aux opérations que l'armée de l'Air
vichyste livrées contre les troupes britanniques. Quelle a
été l'attitude de Jacques André
? Trente-huit ans plus tard, il s'en explique : "Moi, comme
sergent-pilote, je n'étais pas à la tête de l'Etat
et il m'était difficile, dans l'endroit où j'étais,
d'avoir une vue "d'ensemble de la situation (NDR) et de refuser
ex-abrupto de partir, parce qu'à ce moment-là le problème
était tel que la solution qui m'était offerte, c'était
la taule" (3).
Du 18 juin au 11 juillet 1941, il réalise des missions de couverture,
de protection, de mitraillage au sol et de destruction. Revenu en
Algérie, il quitte Maison-Blanche et débarque à
Marseille en septembre 1941. Abandonné par l'armée qui
prolonge délibérement ses permissions, il en est réduit
à faire les vendanges pour se nourrir. Un soir d'avril 1942,
dans un café de Marseille, vêtu des seuls effets qu'il
possédait, son uniforme, il surprend la conversation d'un groupe
de pilotes décidés à joindre l'Algérie
avant que la zone libre ne soit occupée. Le départ est
prévu pour minuit, Jacques André ne sera pas en retard.
A Blida, il retrouve le Groupe de chasse II/3.
Lorsque le 8 novembre 1942, les Alliés débarquent, il
est à nouveau placé dans une situation délicate.
Censé s'opposer à la pénétration américano-britannique,
il est sauvé, comble pour un aviateur, par le ciel ; un épais
brouillard empèche son escadrille de décoller. Pris
en main par les instructeurs britanniques, son unité est soumise
aux entrainements si particuliers de la RAF.
Supportant mal cette ambiance, il saute sur la proposition du général
Valin, à la recherche de piloter pour servir au "Normandie".
Il explique lui-même son choix, contesté par les officiers
restés fidèles au maréchal : "On se fichait
éperdument du régime communiste de l'U.R.S.S. Nous avions
22-23 ans, nous avions appris un métier, nous étions suffisamment
motivés pour ne pas avoir envie de rester à ne rien faire.
On nous offrait l'action, on ne pouvait que dire oui" (4).
L'autre raison, plus intime mais non moins profonde, est la mort de
son père. Engagé dans les Corps francs d'Afrique, il périt
dans une embuscade au moment de la prise de Tunis " et moi j'étais
comme un imbécile à ne rien faire " (5).
Comme ses camarades d'escadrille, Cuffaut,
Sauvage, Casaneuve,
Pierrot, i1 entreprend le long périple
qui, du Caire en passant par Téhéran ou i1 attend un mois
son visa, doit le conduire à Moscou (6). Parti en octobre 1943
d'Alger, il atteint Toula où est stationné le "Normandie",
le 22 décembre 1943. C'est à Alytous, sur les rives du
Niémen, que l'aspirant André livre, le 30 juillet 1944,
son premier combat et remporte sa première victoire. "Nous
étions partis à six (...) mon équipier et moi étions
en patrouille haute (...) Je me suis écarté vers la gauche
en pensant : 'avec les nuages au-dessus de nous, si les Fritz arrivent,
ils débarqueront vers la droite, le soleil dans le dos, et je
ne pourrais rien faire. Au contraire, si je me place à gauche
je fais cent quatre-vingt degrés et je me trouve tout de suite
derrière eux. C'est exactement ce qui s'est produit :
je me suis trouvé derrière deux Focke-Wulf 190, en patrouille
haute qui accompagnaient des Junker 87. Alors la radio : "Focke-Wulf
!" Aussitôt, la bataille de chiens a commencé. J'ai
mis plein gaz, viré brutalement, les Fritz ne m'avaient pas vu,
je n'avais qu'à tirer et je n'arrivais pas à me décider.
Je me disais : "Je suis trop loin... ce n'est pas possible, je
suis trop loin, il faut que j'attende." J'étais à
vingt mètres pourtant, et j'aurais pu les tirer tous les deux.
Combien de temps ai-je attendu ? Quelques dixièmes de seconde
? J'ai fini par descendre le premier, et l'autre est parti en vrille
(...). Je ne voulais pas le perdre de vue, j'ai tout réduit,
virant brutalement pour me replacer derrière lui en perdant le
maximum de vitesse. Hélice plein petit pas et volets sortis,
je l'ai suivi jusqu'à son terrain sans m'en rendre compte, et
là, je l'ai descendu. " (7).
Au terme de cette offensive, "Normandie"
est cité dans un ordre du jour du maréchal Staline et
prend le nom de "Normandie-Niemen".
Ainsi était reconnue l'intense collaboration des pilotes français
aux côtés de leurs homologues soviétiques. Quinze
autres victoires viennent s'ajouter, entre le 9 octobre 1944 et le
8 avril 1945, au palmarès de Jacques
André. Après la capitulation du IIIe Reich, le
'Normandie-Niémen',
conformément au souhait de Staline, regagne le territoire français
sur ses propres avions. Au lendemain de cette guerre, Jacques André
malgré les possibilités d'entrer à Air France,
reste pilote militaire. Il avoue d'ailleurs volontiers que sa présence
dans l'armée de l'Air "compte tenu de mon plaisir évident
à voler, n'a pas été un travail mais une joie
permanente" (8). On retrouve aussi dans sa décision
de rester militaire, la même motivation qui l'avait conduit
à s'engager : le sport. L'armée lui offrait les possibilités
de s'entrainer en vue des jeux olympiques de 1948. Il y participa
et atteignit le stade des demi-finales (400 m haies).
Commandant du centre de tir et de bombardement de Cazaux de 1957 à
1960, affecté au secteur 3 radar de Drachenbronn de 1960 à
1962, commandant de la base 943 à Caen de 1963 à 1965,
il passe ensuite deux années comme commandant de la base aérienne
d'Ivato de Madagascar dont il conserve un souvenir éblouissant.
Il termine sa carrière à l'état-major de la IVe
région aérienne à Aix-en-Provence. En 1968, il
est placé en congé du personnel navigant. Toujours très
ému à l'évocation de son père, le colonel
André n'a pas à rougir de la comparaison et peut être
fier de s'être montré le digne successeur, tant au plan
sportif que militaire, de celui qui l'a conduit à cette brillante
carrière. Le colonel Jacques André
est décédé le 2 avril 1988.
(1) Les sections d'aviation populaire ont été créées
le 3l juillet l936 par Pierre Cot, ministre de l'Air du Front populaire.
(2) Le 1er avril 1941, un cuup d'état militaire renversait
le régent du royaume d'Irak et plçait à la tête
du pays Rachid Ali. Le 27 mai, par les accords de Paris, la France
autorisait le transit par la Syrie des avions allemands qui portaient
secours à l'Irak soulevé contre les Anglais. L'Angleterre
étaitdirectement menacée de voir son approvsionnement
en pétrole condamné. Aussi décida-t-ell avec
l'approbation de de Gaulle d'envahir les Etats du Levant.
(3) Interview du colonel Jacques André, S.H.A.A.,H.O.n°
170.
(4) IDEM, ibidem.
(5) ID, ibid.
(7) ANDRE (Jacques), Cette fois je n'étais plus spectateur,
Icare (64), p. 134.
(8) S.H.A.A., H.O. n° 170.