Jacques Philipart naquit le 11 janvier 1909 à
Mont-Saint-Guibert, en Brabant wallon. Très jeune, il fut séparé
de ses parents. Au moment de se marier, il sollicite de ses chefs
un supplément de trente jours de congé en demi-solde,
pour les passer chez ses parents "qu'il n'a plus vus depuis son
enfance et qui habitent Ayancik, en Turquie".
Il fait ses études à l'Institut Michot-Montgenast et
entre ensuite à l'Ecole polytechnique de l'Université
libre de Bruxelles. Après avoir passé avec succès
ses deux premières années, il entend l'appel d'une autre
vocation, abandonne ses études au cours de la troisième
année et s'engage à l'Aviation militaire, car il a le
goût et la passion du vol. Pour son futur avancement d'officier,
il reçoit, comme candidat-ingénieur, une bonification
d'ancienneté de deux ans. En avril 1932, il est nommé
sergent-aviateur et suit les cours de l'Ecole de pilotage de Wevelgem.
Un camarade de son cours raconte qu'ils faisaient des simulacres de
combats acrobatiques l'un contre l'autre, notamment en Bréguet
19, avion qui n'était guère indiqué pour ce genre
d'exercice. Aussi, ils s'écartaient soigneusement de l'Ecole
pour ces jeux interdits. Il acquiert rapidement une excellente réputation
et à Gossoncourt, son commandant en parlait comme d'un pilote
exceptionnel, qui atterrissait au moteur, en ligne de vol, alors qu'à
l'époque on apprenait à toucher le sol avec la queue
basse et le moteur au ralenti.
"J'ai personnellement volé avec Jacques
Philippart en juin 1935, sur Fairey-Hispano, à la 9e escadrille
du 1er régiment d'Aéronautique, Spécialisée
dans les vols de nuit. Nous étions à l'époque
de jeunes stagiaires, fraîchement brevetés d'état-major,
que l'on désirait familiariser avec l'aviation. Il m'a particulièrement
impressionné en me faisant effectuer mes premiers loopings
et tonneaux. C'était un garçon charmant, d'une excellente
éducation, parfaitement à l'aise dans tous les milieux".
Adjudant-aviateur en avril 1936, il est nommé sous-lieutenant
le 26 juin de la même année. En vue de sa nomination
d'officier, ses chefs lui remettent les notes suivantes "Jugement
sain et sûr, caractère ferme et décidé,
éducation très soignée, tenue très correcte,
apte a tous les points de vue au service aérien. Elément
très allant et réfléchi. Fera un bel officier
aviateur."
Ajoutons qu'il ne fait guère de différence entre le
volant d'une voiture et le manche à balai d'un avion et que
l'on trouve dans son dossier personnel trace de quelques démêlés
avec la police de roulage.A sa demande, il entre dans une escadrille
de nuit. Ses débuts en public remontent à juin 1934,
lorsqu'il effectue une démonstration de propagande aéronautique
à Gossoncourt. En 1937, il prend part au meeting international
de Zürich où il se classe premier parmi les Belges et
où l'équipe dont il fait partie obtient la deuxième
place du classement international. Il vole dans l'escorte royale aérienne
qui conduit le roi Léopold III au baptême de la princesse
Béatrice de Hollande. A cette occasion, la reine Wilhelmine
lui décerne la croix de chevalier de l'Ordre d'Orange-Nassau.
Au cours des fêtes nationales belges de 1938 et de 1939, il
exécute la nuit, au-dessus de la place Poelaert à Bruxelles
des exercices acrobatiques qui impressionnent vivement la foule. En
juillet 1939, il se distingue de façon remarquable au grand
meeting international d'Evere. Sa démonstration sur un petit
avion d'école Stampe et Vertongen, construit en Belgique, consacre
sa réputation. Il effectue notamment une spectaculaire montée
en chandelle jusqu'à l'arrêt de l'avion à la limite
de la puissance du moteur, et puis, le laissant s'abattre, il le remet
en ligne de vol. En octobre 1939, pendant la mobilisation de l'Armée,
il est choisi par le commandant de l'Aviation militaire pour étudier
les méthodes anglaises de pilotage des avions modernes à
l'Ecole de Wittering. La durée habituelle du stage fut pour
lui écourtée. A son retour et jusqu'à l'ouverture
des hostilités, il fut chargé de former aux méthodes
anglaises les pilotes des différentes bases.
La guerre le trouve prêt à remplir tous les devoirs que
le pays attendait de lui. Le 10 mai1940, il sauve son avion sous le
bombardement de l'aérodrome d'Evere et, au cours de la courte
campagne, il effectue une mission comportant le survol de 400 kilomètres
de territoire dominé par l'aviation ennemie. Peu après
il est envoyé à Caen, puis à Tours pour organiser
les écoles belges de pilotage et est désigné
comme conseiller du commandant de l'aviation belge en France, le général
aviateur Legros. Mais bientôt la France cesse le combat et les
autorités belges croient devoir faire de même. Jacques
Philippart ne peut accepter cette idée, il se dirige vers Bayonne
et de là réussit à passer en Angleterre. Comme
il n'y existe aucun noyau d'aviation belge, il s'engage comme pilote
dans la Royal Air Force où, étant donné son séjour
en 1939 à la Central Flying School, il est accepté dès
le 10 juillet. Après un bref passage de contrôle à
l'Ecole de pilotage, il est envoyé en escadrille et remporte
le 18 août sa première victoire.
Sur les cent vingt-quatre aviateurs et candidats
belges regroupés en Angleterre avant août 1940, vingt
neuf seulement étaient opérationnels. Quinze pilotes
belges furent immédiatement répartis entre les escadrilles
de Hurricanes du " Fighter Command " (chasse) et quatorze
autres dans le " Coastal Command " (défense côtière).
Durant les trois mois de la bataille d'Angleterre, les aviateurs belges
inscrivirent 21 victoires confirmées et perdirent six pilotes.
C'est parmi ces vingt-neuf vaillants que combattit et tomba Jacques
Philippart. Il n'y avait pas de gouvernement belge à Londres.
C'est notre ambassadeur, le baron Cartier de Marchienne, son attaché
de l'air, le lieutenant-colonel aviateur Wouters et son adjoint, le
capitaine De Somer, qui négocièrent, dès le 25
juin, avec l'Air Ministry, l'intervention des aviateurs belges.
Les Britanniques demandaient qu'on leur envoie d'urgence
les pilotes formés qui pourraient être employés
à combattre après une ou deux semaines d'entraînement
dans les O.T.U. A peine arrivés, les aviateurs belges sont
lâchés sur Hurricanes, simulent des attaques, s'entraînent
au tir, s'habituent aux formations tactiques, à la procédure
de transmission de la RAF, et surtout au jargon simplifié qui
doit permettre des réactions rapides. Les Hurricanes Mark I,
dont l'aviation belge possédait quelques exemplaires, sont
des chasseurs monoplaces armés de huit mitrailleuses Browning,
volant à une vitesse de 335 milles à l'heure (535 km/h
), tandis que le meilleur chasseur britannique le Spitfire, atteint
366 milles à l'heure. Du côté allemand, les chasseurs
monoplaces Messerschmidt 109 armés de canons et de mitrailleuses
atteignent 350 milles et sont donc supérieurs aux Hurricanes
des Belges. Il en est de même des Messerschmidt 110, biplaces
bimoteurs, armés de deux canons et de quatre mitrailleuses
qui escortent les bombardiers à grande distance et peuvent
atteindre 365 km/h, mais sont moins maniables. Fin juillet, quinze
des seize pilotes de chasse belges sont dispersés dans sept
escadrilles de Hurricanes du Fighter Command. Philippart est affecté
avec Buchin au Squadron 213 du Groupe
10 qui défend la partie sud-ouest de l'Angleterre. La phase
préliminaire de la bataille d'Angleterre est déjà
commencée. Les adversaires se tâtent et cherchent leurs
points faibles.
A partir du 10 juillet, la Luftwaffe prend la mesure
de la RAF. Elle cherche à provoquer la chasse anglaise dans
le but de l'user prématurément. Le 11 août, un
raid de bombardiers qui a pour cible Portland se heurte au Squadron
213 dont font partie Buchin et Philippart. Buchin, de la section
rouge menée par Philippart, aperçoit la formation de
bombardiers et l'évalue à plus de 40 appareils escortés
de chasseurs Me 109. Dans leur radio les Allemands s'écrient
: "Achtung, Spifeuer". Ce ne sont pas des Spitfires, mais
des Hurricanes menés par des aviateurs de cette Belgique qu'ils
croyaient avoir rayé de la carte Buchin jette un rapide coup
d'il à son altimètre : 13.000 pieds ( 4.000 mètres
).
Red I de Red 2, Bandits à 10 heures (chef de section,
votre ailier vous appelle, avions ennemis, à 60° à
gauche de notre axe de vol)
OK, allons-y.
Chacun des chasseurs choisit sa cible et les Hurricanes
se lancent dans la formation ennemie. Les courtes flammes rouges des
mitrailleuses illuminent les ailes. Le bombardier allemand qui dirige
la formation glisse sur l'aile, amorce un piqué sur sa cible.
Philippart se laisse tomber à sa suite et se place derrière
lui. Il appuie sur la gâchette. Les balles viennent frapper
l'Allemand au moment où il ouvre ses volets de piqué.
Sa mitrailleuse arrière crache continuellement. En hurlant,
le Hurricane dépasse le bombardier au moment où celui-ci
se redresse. Philippart tire un peu sur son manche à balai.
Le Hurricane ne semble pas touché. Il file à toute vitesse
au ras de l'eau, son ombre courant sur les lames. Après un
virage sec, le Belge revient comme un bolide sur sa cible. L'Allemand
tire toujours tant qu'il peut, mais maintenant que le chasseur le
prend de flanc, sa position est plus difficile. Une épaisse
fumée noire s'échappe de son moteur tribord. Une immense
gerbe d'eau ! Il a touché la mer et s'engloutit en quelques
secondes. A ce moment, Philippart se rend compte qu'un filet d'huile
se glisse dans le cockpit. Le glycol parsème son pare-brise,
risque de l'aveugler, s'infiltre déjà à l'intérieur
de l'habitacle. L'appareil a été touché dans
son réservoir d'huile. Il faut atterrir.
Red section de Red leader. Je rentre à la base.
A terre, il découvrira que son appareil a
reçu sept balles dans le réservoir d'huile, le moteur
et les ailes Buchin abat également un bombardier. Le 13 août,
dans l'après-midi, se déclenche enfin la véritable
bataille d'Angleterre. Le fameux " jour des aigles " est
arrivé. Plusieurs centaines d'avions mènent simultanément
cinq ou six opérations majeures. De fortes escortes de chasseurs
entourent les escadres de bombardement. Aux premières heures
du 15 août, mille Allemands attaquent simultanément les
aérodromes du sud et du sud-est de l'Angleterre.
Entre 17 h et 17 h 20, les radars de la côte sud ont détecté
l'approche de sept formations allemandes supplémentaires. Il
doit y avoir entre 200 et 300 appareils qui s'approchent des côtes
du Hampshire et du Dorset. Au total, 150 Spitfires et Hurricanes décolleront
pendant ce raid pour faire face à l'adversaire. Huit escadrilles
sont en l'air et livrent de furieux combats au-dessus de Portsmouth
et de Portland.
Le Squadron 213 est
de la partie. Silencieux, les pilotes écoutent le contrôleur
donner au commandant d'escadrille le cap et altitude où il
trouvera à s'occuper et vers où s'approchent les bandits
qu'il leur destine.
Bandits au-dessus de Portland Bill à 20.000 pieds.
Yellow leader, 0K.
Yellow leader, c'est le lieutenant Philippart qui
mène à l'attaque des coéquipiers, dont Buchin.
Et d'un instant à l'autre et c'est la folle mêlée.
Le Squadron 213 tombe sur une centaine
d'avions adverses. Il y là des Junkers 88, des Junkers 87,
des Messerschmidt 109, des Messerschmidt 110, pour tous les goûts.
Yellow section. Huit 110, à 12 heures, au-dessous, on
y va.
Philippart pousse le stick en avant. Il plonge comme
un bolide sur le dernier Me 110 de la formation et l'ajuste dans son
collimateur. Il lâche une courte rafale. L'Allemand décroche
brutalement ; puis se mets en vrille, en descendant vers la mer. Le
25 août 1940, après une série d'opérations
préliminaires destinées à fatiguer la défense,
la Luftwaffe entreprend un raid massif entre 4 et 5 heures de l'après-midi.
Sur tous les aérodromes des 10° et 11° groupes, les
pilotes se ruent vers leurs appareils. Deux escadrilles du 10°
groupe sont mises les premières en l'air et reçoivent
l'ordre d'établir le contact sans attendre, afin de freiner
et si possible, déjà déranger la formation ennemie.
C'est ainsi que Philippart se retrouve au combat avec le Squadron
213. A un contre dix, les chasseurs de la R.A.F. vont attaquer
sans hésitation. Alors s'engage une lutte qui frise le suicide
pour la défense. Plusieurs fois, un avion aux cocardes tricolores
s'abat dans la mer et l'un d'eux est celui de Philippart. Il vient
d'encadrer un appareil ennemi, qui encaisse, qui commence à
rouler et tanguer sous les coups, quand il est pris à son tour
sous les feux de l'adversaire et abattu. Son vainqueur, le Hauptmann
Hans-Karl Mayer appartient au I./JG 53. Philippart se jette dans
le vide. Ses camarades le voient descendre lentement sous son parachute
vers les eaux de la Manche.
Des vedettes et des patrouilleurs de la Marine le
chercheront longtemps, mais sans le retrouver ; une lame roulera son
corps sur une plage anglaise quatre jours plus tard. Le surlendemain,
il sera porté en terre dans le petit cimetière d'Exeter.
Le Ministre Gutt, qui a fait le déplacement pour saluer le
pilote à la carrière fulgurante, lit la dernière
citation du Lieutenant Philippart :
Officier d'un mérite éclatant. S'est distingué
sans répit par son ardeur au combat, son courage et son habilité
; pilote de grande classe, d'une bravoure exceptionnelle. Rejoint
la Grande-Bretagne dès la fin des hostilités en France
pour participer activement à la bataille aérienne au
dessus de la Manche et de l'Angleterre. Du 11 au 25 août 1940,
remporte cinq victoires certaines. Le 25 août 1940, dans un
engagement avec une formation ennemie supérieur en nombre,
tombe en pleine gloire après avoir remporté une nouvelle
victoire.
Le 12 janvier 1943, le Ministre de la Défense nationale lui
accorda la croix de guerre de 1940 avec six palmes en bronze et une
citation qui reprend en les amplifiants les termes de celle de 1940.
La croix de l'Ordre de Léopold avec palme lui fut accordée
par le Régent le 16 septembre 1946. Nul ne méritait
mieux que celui qui avait tout sacrifié pour s'engager dans
le combat le plus décisif de la guerre, qui était le
premier Belge à y remporter une victoire aérienne et
à mériter par ses succès le titre d'as des Belges
dans cette glorieuse bataille.
Il fut un de ceux dont Churchill a dit :
"Jamais au cours des conflits
de l'humanité, autant d'hommes n'ont eu pareille dette envers
un si petit nombre."