Texte original : http://www.ordredelaliberation.fr/fr_compagnon/428.html
Fils d'avocat devenu bâtonnier à Casablanca,
Max Guedj est né le 8 juin 1913 à Sousse en Tunisie. Elève
brillant, il étudie le droit à Paris, et devient à
son tour avocat. Il fait de nombreux voyages en Russie et en Allemagne.
Pendant son service militaire, qu'il fait dans l'armée de terre,
il se passionne pour l'aviation et s'inscrit dès sa démobilisation
à l'aéroclub de Casablanca. Il obtient son brevet de pilote
civil en 1938. La guerre déclarée, il rejoint comme soldat
de deuxième classe le 2e Régiment de zouaves, à
Meknès. En juin 1940, il est sergent dans une unité de
DCA. Mais, il n'accepte pas l'armistice et, muni d'un faux passeport,
s'enfuit de Tanger et arrive en Angleterre le 6 septembre 1940, via
Gibraltar.
Il s'engage au début d'octobre dans les
Forces
aériennes françaises libres
(FAFL), sous le pseudonyme de Max
Maurice, comme élève pilote. Après un premier entraînement
à l'école de pilotage d'Odiham, il est promu aspirant.
Après une période d'entraînement et de perfectionnement
dans différentes écoles de la Royal Air Force, il est
détaché en février 1942 au Squadron
248 du Coastal Command sur Beaufighter. Ce sont, d'après
ses propres mots, les plus heureux moments de sa vie, depuis le jour
où il a dû abandonner la France ; il est dans un des meilleurs
groupes de la RAF où il tient magnifiquement sa place de pilote.
A peine arrivé, le 17 mai 1942, il participe
à l'attaque au canon et à la mitrailleuse du croiseur
Prinz Eugen, qui est de plus escorté de quatre torpilleurs de
gros tonnage. Le rôle de Guedj est le suivant : faire un passage,
essayer de maîtriser la DCA ennemie, l'attirer et permettre ainsi
aux Beaufighter torpilleurs d'opérer... Ils partent à
quatre appareils : au premier passage, l'un est abattu, les trois autres
sont touchés sérieusement. Il semblerait normal de rentrer
à la base, mais avec un autre Français, Sabbadini,
ils repartent de nouveau à l'attaque ; cette fois-ci Sabbadini
est abattu. Alors, pour la troisième fois, avec un appareil criblé
de trous, Max Guedj repart faire un dernier passage. Son retour, avec
un avion en lambeaux, est un exploit peu ordinaire.
Il commence, ayant comme observateur un Flight Sergeant
britannique, une série d'opérations formidables, de Norvège
à Malte, patrouillant sur l'Océan à la recherche
des navires ennemis ou bien attaquant les chasseurs allemands qui harcèlent
les patrouilles alliées anti sous-marines. Il continue ensuite
à effectuer une série de sweeps offensifs et de reconnaissances
photographiques sur les côtes de Norvège et de Hollande.
Puis son groupe opère dans le golfe de Gascogne. En juillet 1942,
ils sont envoyés à Malte, protégeant les fameux
grands convois qui passent alors en Méditerranée. Guedj
effectue de nombreuses attaques au sol contre les aérodromes
ennemis, particulièrement celui de Cagliari, où il détruit
des hangars remplis d'avions, et, au sol, trois autres appareils torpilleurs,
italiens et allemands. Le Squadron revient ensuite au Pays de Galles
pour des opérations sur le golfe de Gascogne. En mars 1943, il
descend un Junker 88 au-dessus de la baie de Biscaye mais son avion
est très endommagé pendant le combat. Il réussit,
dans des conditions extrêmes, à ramener son appareil et,
pour cela, reçoit la DSO. Voyant que son tour d'opérations
touche à sa fin, il demande alors à ne faire que les missions
les plus dangereuses : les attaques de bateaux.
Sa popularité dans son squadron est devenue
extrême et son commandant désire en faire un de ses chefs
d'escadrille, le considérant comme le meilleur élément
de son groupe à tous points de vue. Après son premier
tour d'opérations, il insiste pour ne pas prendre de repos, mais
n'obtient que de prolonger ce premier tour de quatre-vingts heures.
Il part comme instructeur à la Operationnal
Training Unit 2 où il est en charge de l'Air firing flight,
volant et s'entraînant au tir sans arrêt. L'intérêt
qu'il porte à cet entraînement améliore beaucoup
ses résultats et l'amène à battre un record considéré
jusque-là comme imbattable (250 points sur un maximum de 300).
En février 1944, il réussit enfin, après
avoir insisté de tous côtés, à retourner
en opérations, au Squadron 248,
et repart de nouveau pour le golfe de Gascogne ; il fait entre-temps
sa "transformation" de Beaufighter sur Mosquito. Avec beaucoup
de cran, il prend, au cours d'une mission de reconnaissance photo, des
vues du port de Cherbourg à moins de 300 mètres d'altitude.
Sans arrêt il prend part à de nombreuses opérations
; puis le D Day arrive. Son groupe travaille à l'extrême,
non sans pertes (22 équipages sont perdus en six semaines). Il
prend part à toutes les sorties, faisant jusqu'à trois
patrouilles par jour, parfois plus de huit heures de rase-mottes sur
l'eau en moins d'une journée. Il reçoit alors une barre
à sa DFC. En septembre le Squadron 248
est envoyé à Banf en Ecosse pour opérer au-dessus
de la Norvège et en décembre 1944, Max Guedj est nommé
Wing Commander de la RAF ; il prend le commandement du Squadron
143, sur Mosquito.
Le 15 janvier 1945, il participe à l'attaque
d'un convoi de navires ennemis sur les côtes de Norvège,
au-dessus du port de Leirvik. Fonçant sur un pétrolier,
il réussit à l'endommager, mais la "flak" est
serrée ; son avion est touché et un moteur arrêté.
Il repart quand même de nouveau à l'attaque, sur un seul
moteur et réussit à couler son adversaire. Un second bateau
se présente : toujours sur un seul moteur, il l'attaque et l'endommage.
Douze Focke-Wulf 190 se trouvent dans les parages. Attaqué de
toutes parts, Max Guedj disparaît avec son navigateur britannique,
le Flight Lieutenant Langley.
L'inauguration de l'esplanade
Max Guedj
Le 15 janvier 2001 a été inaugurée, à Paris,
l'Esplanade Max Guedj, du nom du redoutable pilote des Forces Aériennes
Françaises Libres, Compagnon de la Libération. Le général
d'armée Jean Simon, Chancelier de l'Ordre de la Libération,
participait à cette cérémonie présidée
par M. Jean Tibéri, Maire de Paris. De nombreux vétérans,
notamment des Forces Aériennes, assistaient à l'inauguration
de cette esplanade située dans le XVe arrondissement, au croisement
de la rue Balard et de la rue Gutemberg.
Deux discours ont été prononcés par M. Jean Tibéri,
Maire de Paris, et par le Général d'Armée Aérienne
Guéguen. La plaque a été ensuite dévoilée
conjointement par Mme Claudine Dars, fille de Max Guedj, M. le Maire
de Paris, et M. le Chancelier de l'Ordre de la Libération.
Récit du dernier combat
de Max Guedj (Feux du Ciel, Flammarion 1951 - Collection LAventure
vécue - Pierre Clostermann)
Lîle de Barroy, avec son phare ceinturé de bandes
noires et blanches, ses sémaphores et la station de radar...
Batterie de 88 mm aussi. Trois boules ocres apparaissent soudain juste
en-dessous des nuages, deux cents mètres au-dessus de la formation,
comme des taches dencre sur un buvard... coups dalerte de
la D.C.A. sans doute.
A Narvick et à Elvegaard les sirènes doivent hurler.
Revolver and Shark attacking
Cest le grand fjord dOfot, flanqué de montagnes
hautes de cinq cents mètres, couronnées de glaciers, tombant
à pic dans les eaux froides et claires frangées de glaçons.
Pas encore de Flak ? Cest un miracle... A six cents kilomètres
à lheure la formation sengage et rase le flanc des
montagnes. Shark à gauche, Revolver à droite, et au milieu
du fjord, comme un râteau survolant le chenal libre, les six Mosquito
des sections bleues foncent line-abreast... Au pied dun entassement
cyclopéen de roches figées dans la neige, les Revolver
frôlent les débris calcinés dun torpilleur
allemand détruit le 13 avril 1940... Soudain, le fjord principal
sélargit comme la paume dune main dont les doigts
sont les fjords dHerjangs, de Narvick, de Rombacks et dElvegaard.
Narvick en face, avec ses toits noirs, la tour de bois de son église,
les piles de planches sur les quais de pilotis... quelques bateaux de
pêche... un vieux bateau à roue semi-échoué...
Du calme maintenant. Max se remémore les photos dIntelligence.
Lobjectif est dans Rombacks Fjord... Rombacks Fjord - sinueux
couloir large de douze cents mètres, encaissé entre les
parois hautes de huit cents, où est pris au piège un nuage
qui le coiffe comme le couvercle dune boîte... tout au bout,
collé au rocher à pic, il doit y avoir le pétrolier.
"Look out, Flak". Les Shark ont obliqué à
droite vers lembouchure du fjord. Max passe en trombe, virant
à la verticale au-dessus de la ville... le ciel se remplit
déclairs et de traceurs.
Les six Mosquito bleus foncent sur le gros contre-torpilleur qui
fait feu de toutes ses pièces. Il disparaît aussitôt
dans les traînées et les explosions des quarante-huit rockets
qui déchirent sa coque comme du papier de soie ! Lueur dans le
ciel... gracieuse parabole dune écharpe de fumée
noire et un Mosquito percute. Un deuxième éparpille ses
débris en feu sur le flanc de la montagne le long dune
rangée de sapins. Un parachute se détache dun troisième
dont laile a été arrachée par un coup de
88 mm au but...
Un véritable filet de lumière est tendu au travers
de la vallée par une vingtaine de postes de Flak perdus dans
les rochers.
Les flocons de 20 mm déroulent un tapis blanc autour des
avions qui zigzaguent follement entre les chapelets lumineux...
Les deux Speerbrechers et les « Sans-Soucis » (1), embossés
en quinconce, bloquent lentrée du fjord. Il faut passer
entre leurs feux croisés.
Entre eux, les Flak-ships ont soixante tubes de 20 mm et vingt-deux
tubes de 37 mm... muraille aveuglante tressée par cinq cents
projectiles explosifs à la seconde contre laquelle se fracassent
les avions. Un Mosquito, probablement touché à la rampe
de rockets, explose dix mètres au-dessus dun escorteur
et le couvre dune nappe dessence enflammée. Hachant
les servants des pièces de D.C.A., les munitions sur le pont
explosent. Lavion suivant, visant au hasard dans le brasier, lâche
sa salve de rockets qui broie le petit navire... Cest un enfer
dont les parois rocheuses répercutent les échos. La Flak
et le hurlement des moteurs déclenchent des avalanches qui dégoulinent
en cascades sur les pentes jusquà la mer... sourd grondement
de la nature qui se révolte contre le fracas des hommes.
Mais soudain, voici quune note différente intervient
dans ce fracas. Cest le ronflement métallique et irrégulier
des moteurs B. M . W... Vingt Focke-Wulf 190 débouchent sur Bjervick.
Venant de laérodrome de Bardufoss, ils se sont faufilés
sous les nuages dans la vallée et à sept cents à
lheure ils bondissent sur les Mosquito pris au piège
dans le fjord... Max est en tête. Coude à coude avec son
observateur, basculant le Mosquito dune aile sur lautre,
ils ont réussi à franchir le barrage des Flak-ships
indemnes.
Tout au fond du fjord, faisant corps avec la montagne, voilà
le grand pétrolier, camouflé de zébrures blanches
et noires - ventre étiré, bas sur leau, cheminée
tout à larrière, il est enchâssé dans
les glaces... sa silhouette bien précise est encadrée
dans le collimateur.
Coups de boutoir des quatre canons dont les culasses cognent sous
les pieds comme des pistons de locomotives... Max attend dêtre
à bout portant pour lâcher les rockets. En attendant, pour
neutraliser la Flak il tire, et ses obus de 20 mm piaulent, ricochant
sur la glace, brodant un collier dexplosions sur la coque...
"Rockets ON
the whole lot"
Stevens, lobservateur, crispé sur son siège
- témoin passif, à la merci de lhabileté
de son pilote - fuse la salve complète de huit rockets... léquivalent
dune bordée dun croiseur de dix mille tonnes ! Max
se penche encore plus en avant vers le collimateur et ses yeux mi-clos
se durcissent... il frôle la détente. Au moment exact où
il va tirer, son Mosquito est soudain catapulté latéralement
par une formidable explosion. Dinstinct, malgré la douleur
affreuse qui lui tord lestomac, Max tire de toutes ses forces
sur le manche... la coque... les mâts... les rochers... les sapins
- tout lui bondit au visage.
Lavion file vers les nuages, brutalement, et sy enfouit.
Max maîtrise lembardée de lappareil qui dérape
- en effet, par-dessus le dos de lobservateur effondré,
il aperçoit le moteur droit qui vomit des flammes au travers
de ses capotages arrachés. Pour Max, en plus de la souffrance
de sa blessure, lagonie du mortel P.S.V. dans les nuages hérissés
de montagnes. Les gyroscopes et lhorizon artificiel, déréglés
un instant par le choc, reprennent... lavion vibre dangereusement...
du calme !... hélice droite en drapeau... extincteurs... toujours
cette déchirante douleur et le sang chaud qui coule le long
des jambes, sous les pantalons.
Soudain, cest le ciel bleu sur la couche unie de nuages !
Lobservateur est tué - la cabine, le tableau de bord, les
manettes, les vitres sont couverts de sang qui a éclaboussé
partout.
Ne pas sévanouir - surtout pas ! Virage à gauche...
180°... Le feu est éteint, et le moteur droit bave par ses
tôles disloquées de la mousse sale. Que se passe-t-il
sous les nuages ? Parfois quelques obus de D.C.A. traversent la couche
blanche et sèment des éclatements sombres qui paraissent
incongrus dans cet absurde calme... Mais les rockets sont toujours sur
leurs rails - quelle tentation dans tout ce vertige... rentrer
au-dessus de ces nuages... dans ce calme, jusquen Écosse...
attendre que le radio-compas indique la terre... sauter alors en parachute...
Il a bien ramené, du golfe de Gascogne à Predanack, un
Beaufighter sur un seul moteur... à plus forte raison un Mosquito
! Oui, mais la mission était alors accomplie. Que sont devenus
ses avions... et le pétrolier ? Plus de réception à
la radio, lémission seule fonctionne. Max a pris sa décision
- comme elle est loin de la France !
"Revolver leader here. I am going to make another pass "
Coup doeil au chrono. Ce doit être la mer maintenant
audessous... descente prudente en P.S.V... bien à plat dans
lombre humide... quelques franges de buée plus lourde et
cest la mer - grise et mouvante. Virage cap sur cap. Voilà
de nouveau lîle de Barroy. Surpuissance - emergency - au
moteur gauche indemne... flettners réglés pour soulager
le pied gauche qui fatigue, poussé à fond sur le palonnier.
Narvick. Ah ! ne pas sévanouir ! La lucidité de
la douleur donne à tout un relief terrible... les Focke-Wulf
qui bourdonnent et rebondissent dans le fjord comme des guêpes
sur un carreau... Mosquito en feu qui égrènent des fragments
dailes et de fuselage sur la neige... piliers de fumée
noire dérivant sur leau... Cest donc tout ce quil
reste de ses avions ? Dans cette petite baie, une mare de mazout irisée,
semée de débris de navire... quelques hommes aux gilets
de sauvetage jaunes qui nagent... des bulles dair énormes
qui crèvent à la surface... Plus loin, un torpilleur éventré
sest mis au sec sur les rochers... Mais il reste de la Flak. Elle
revient, furieuse comme une bourrasque, infranchissable. Le Mosquito,
poursuivi par quatre Focke-Wulf aux canons panachés déclairs
secs, rase la mer. Il est si bas que le vent deson hélice souffle
un sillage qui frissonne sur leau noire piquée de petites
flaques décume des impacts dobus... Ne pas sévanouir
! Un Focke-Wulf danse derrière le Mosquito, à vingt mètres,
pour donner le coup de grâce et tire à bout portant. Les
obus ravagent le fuselage et frappent comme des coups de marteau dans
le blindage dorsal du siège de Max... Encore mille mètres...
ne pas sévanouir et tenir encore cinq cents mètres...
lautre moteur est maintenant en feu à son tour et ronge
le longeron de bois... Un éclat a décapité le collimateur.
Maintenant, il va falloir larguer les rockets à cinquante mètres
pour ne pas manquer. Le Mosquito oscille sur sa trajectoire comme un
homme qui trébuche, et maintenant un autre Focke-Wulf tire, et
ses obus explosent sur lavion et aussi sur le pétrolier
qui grandit. Jet de feu... les huit rockets sont larguées comme
des lances qui perforent les tôles de la coque et le revêtement
des citernes... Le tonnerre de lexplosion répercutée
dans le fjord est si formidable que les habitants de Narvick, croyant
que la montagne croule, senfuient épouvantés
dans les rues. Les Norvégiens retrouveront un treuil du navire
allemand dans la vallée voisine, à deux kilomètres
de lexplosion ! Mais le Mosquito sest fondu dans le fleuve
de feu qui a flambé les sapins tout le long des pentes, dans
un rayon de plusieurs centaines de mètres... Il neige à
nouveau, et les flocons sont noirs de suie. Quatre Mosquito, quatre
équipages, les nerfs brisés, luttent pour rentrer à
la hase... dans la nuit arctique qui tombe... noire aussi, sans étoiles.
Quatre Mosquito sur dix-neuf !
Adieu, Max !
[1] Ce nétaient probablement pas des « Sans-Soucis
», mais daprès les archives allemandes des escorteurs
type M. - sans doute les M.402 et M.471.